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Franklin Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika

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Billet de blog 26 septembre 2018

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Côte d'Ivoire: des querelles anciennes au Cap de Nouvelle Espérance

Je consacre donc la présente tribune à deux tâches : I) repérer et analyser les vieux démons qui ressurgissent en Côte d’Ivoire contemporaine, constituant ainsi  «  Le mal ivoirien » ; II) Esquisser une offre d’alternance et d’alternative politiques

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Illustration 1
Côte d’Ivoire : des querelles anciennes au Cap de Nouvelle Espérance

L’Editorial de Franklin Nyamsi Wa Kamerun

Professeur agrégé de philosophie, Paris-France


 
           Ces dernières semaines en Côte d’Ivoire, ce n’est pas la bataille des idées qui domine l’actualité. Un paysage digne d’un décor théâtral de Shakespeare se met de nouveau en place. C’est plutôt la dernière bataille des spectres du passé qui a commencé. Les vieux démons du pays sont en effet de retour. Ils furent certes, un temps mis sous sédatifs par l’Accord de Paix de Ouagadougou en 2007,  les élections de 2010 et la dure résolution de la crise postélectorale qui a suivi, les élections législatives de 2011 et 2016, l’élection présidentielle de 2015 et la nouvelle constitution promulguée en novembre 2016. Mais la suffisance et l’arrogance du pouvoir aidant, les malentendus entre désormais ex-alliés du RHDP s’y joignant, le désir de revivre le passé des Refondateurs survivants s’y mêlant, on observe un emballement des esprits, des discours et des postures politiques.
 
            Le moins pessimiste des observateurs doit alors reconnaître que la Côte d’Ivoire approche les élections régionales et municipales de 2018 dans une ambiance de discorde indigne d’un pays qui a, de bonne mémoire, énormément souffert de l’immaturité de sa classe politique par le passé. Or, penser vraiment, c’est prendre le risque de nommer les tabous afin de lever les lièvres de l’incompréhension collective.  Le devoir de l’intellectuel politique est dès lors de séparer le bon grain de l’ivraie, de recenser les fébrilités et d’esquisser les fondements d’un cap de Nouvelle Espérance pour l’une des nations les plus prometteuses du sous-continent d’Afrique francophone. Je consacre donc la présente tribune à deux tâches : I) repérer et analyser les vieux démons qui ressurgissent en Côte d’Ivoire contemporaine, constituant ainsi  «  Le mal ivoirien » ; II) Esquisser une offre d’alternance et d’alternative politiques qui serve à court-circuiter les énergies obscures qui veulent reprendre du poil de la bête dans ce pays pourtant bourré de formidables forces d’avenir.
 

I

Quels sont les vieux démons qui tentent un  retour en grâce en Côte d’Ivoire ? Décortiquons le mal ivoirien


 
1-Le repli clanique et le renouveau identitaire : l’ivoirité à l’envers


           Imprudemment et très dangereusement, des voix de la classe politique au pouvoir et de l’opposition ivoirienne, se sont levées ces dernières semaines pour revendiquer la possession captive de fiefs ethniques dans le pays. Le mythe du « bétail ethnique » reprend du service…avec l’émergence des néo-ivoiritaires du RDR en prime.
            A une certaine élite du RDR qui semble faire des Dioula[1], la chose du RHDP « unifié » nouvelle version, répond une certaine élite du PDCI-RDA[2], qui proclame les Akans chasse gardée de ses éminences, tout comme un certain discours du FPI[3] qui annonce que les Krou-Bété devraient se régler sur ses seules et uniques mimiques. Le plus spectaculaire phénomène identitaire que l’on puisse observer est celui de certains  extrémistes RDR, originaires de la partie nord du pays, qui sont devenus depuis l’accès de leur mentor au pouvoir, les nouveaux parangons de la xénophobie anti-africaine en Côte d’Ivoire, alors qu’ils en ont subi les affres terribles depuis le début des années 90. C’est le phénomène bien nommé de l’ivoirité à l’envers, qui consiste pour les anciennes victimes de l’idéologie de l’ivoirité, à l’utiliser contre ceux qu’ils considèrent à tort comme leurs nouvelles proies faciles. Véritable logique du bouc-émissaire.
 
2- L’usage abusif et patrimonial des fonds et moyens  publics dans la concurrence politique[4] collective, avec l’instrumentalisation ostentatoire de la justice
 
           En Côte d’Ivoire, sous le régime du RHDP dit « unifié », n’ont pas disparu les colonies tribales dans les institutions et ministères d’Etat. Les scandales liés à la gestion familiale des budgets de souveraineté,  des affaires présidentielles, des entreprises d’Etat et des grands intérêts économiques de la nation n’ont pas cessé de se multiplier. Les rapports de la Haute Autorité de lutte pour la transparence dans l’attribution des marchés publics[5] n’ont jamais manqué d’épingler la multiplication des conflits d’intérêts dans cette sphère hautement délicate pour l’image de marque du pays.
            Le dernier rapport[6] de l’Union Européenne, publié en cette année 2018,  n’a fait que résumer les tares graves dans la gouvernance économique de la Côte d’Ivoire : opacité, autoritarisme, privilèges exorbitants accordés aux proches, usage effréné de la fortune  publique dans la compétition politique, l’accaparement des médias d’Etat par le pouvoir. Un exemple flagrant de cette médiocrité ambiante nous est offert par la campagne électorale du candidat-Ministre d’Etat Hamed Bakayoko aux municipales d’Abobo. Aux côtés dudit candidat, des ministres de la République, des personnalités de la Présidence du pays sont venus procéder à l’exhibition et l’ostentation de moyens financiers énormes dont jamais depuis 17 ans de majorité RDR, les habitants n’avaient soupçonné les gouvernants de détenir. Sans oublier, summum de l’ignominie, l’instrumentalisation outrancière et désormais quotidienne  de la justice au service des intérêts du Clan au pouvoir, comme on l’a vu dans les opérations de lutte anti-corruption et de harcèlement judiciaire essentiellement ciblées contre les cadres et associations du PDCI-RDA ou contre les soroistes en rupture de ban avec l’autoritarisme régnant.
 
 
3- La tentative de réduction du débat politique à la querelle des héritiers et rivaux du Président Houphouët-Boigny 
 
           En 2018, soit 25 ans après la mort du Premier Chef de l’Etat ivoirien, certains prisonniers frileux du passé tentent de réduire le débat politique à la question de savoir qui d’Alassane Ouattara, d’Henri Konan Bédié, ou de Laurent Gbagbo, détiendrait encore les clés de l’avenir du pays. La politique ivoirienne ne risque-t-elle pas de devenir une patinoire pour pachydermes usés et ennuyeux tant par leurs actes que leurs discours ?
            Les premiers font valoir le bilan macroéconomique du futur président sortant, comme un argument pour l’inciter sinon à violer la constitution qui ne l’autorise pas à se représenter en 2020, du moins à choisir son supposé successeur. Le second camp invoque une promesse de redevance du pouvoir au PDCI-RDA, qu’aurait faite Alassane Ouattara à son aîné Bédié, et qu’il doit tenir s’il veut la paix et la stabilité du pays. Ainsi, le pouvoir d’Etat serait une dette d’un homme d’Etat envers un autre. Le troisième camp, celui du FPI, non moins agrippé aux lambeaux de son passé glorieux, estime qu’en raison de son innocence autoproclamée, et du saupoudrage spirituel du logos aux allures prophétiques de Madame Gbagbo,  le Christ de Mama doit revenir au pouvoir, coûte que vaille en Côte d’Ivoire. Ainsi, les trois grandes familles politiques dirigées par les contemporains politiques du Président Houphouët croient pouvoir maintenir les ivoiriens du 21ème siècle sous l’emprise des querelles de la fin du 20ème siècle ivoirien.
 
4- La gestion aveugle des problèmes sociaux : sécurité, éducation, logement, santé, emploi, crises foncières, migrations sauvages des jeunes vers l’étranger
 
            Le parent pauvre de la politique actuelle du régime, c’est bien sûr le social. Près de 50% des Ivoiriens vivent encore sous le seuil de pauvreté. On ne peut que voir comme un demi-aveu, le projet annoncé en mi-septembre 2018 par le Premier Ministre Amadou Gon de mettre en œuvre un plan social d’urgence pour la période 2018-2020, alors que ceci aurait dû absolument marquer la différence, dès octobre 2015, entre le premier et le second et dernier mandat de l’actuel Chef de l’Etat. Nous avions pourtant régulièrement exhorté le gouvernement en ce sens, sans jamais être écouté[7].  Les crises sécuritaires de janvier et mai 2017, en écho à celle de 2014, rappellent cruellement au pays que la sécurité de ses villes, campagnes, forêts et eaux est très insuffisamment assurée. Le phénomène dit des « Microbes » n’est que la face visible d’un iceberg de problèmes sociaux irrésolus : l’école, jamais pacifiée, jamais suffisamment modernisée, n’assure toujours pas la formation qualifiée dont le monde des entreprises et institutions a besoin ; le système de santé, toujours au-dessus des moyens des plus modestes et nombreux citoyens, abandonne des pans entiers de la société à la malemort ; les lobbies de l’argent s’accaparent ostentatoirement de pans entiers de lotissements urbains, au mépris des pauvres, comme on l’a vu à Cocody Danga ou comme le peuple Atchan le déplore ces dernières semaines ; le chômage, selon la BAD, frappe de 70 à 90% de la population en âge de travailler en Côte d’Ivoire, livrant l’essentiel des forces laborieuses du pays à l’économie informelle. Dans ces conditions, la déforestation sauvage et l’urbanisation mal maîtrisée livrent les villes et campagnes aux inondations accrues. La terre devient un enjeu de guerre rurale permanente. Les jeunes ivoiriens désespérés se rassemblent à Daloa pour partir à l’aventure dans les mouroirs du Sahara et de la Méditerranée.
 
Dans ces conditions, une question essentielle s’impose : quelle offre politique pourrait sortir la Côte d’Ivoire de la triple stagnation, voire récession politique, économique, sociale et culturelle que lui proposent ses trois familles politiques héritières et rivales des temps anciens ? Un pays composé à 90 % d’une population de moins de 50 ans peut-il sacrifier son avenir à la satisfaction des attentes d’hommes et de familles politiques qui ont largement fait leur temps, qui ont eu l’occasion de montrer ce qu’ils savent et peuvent ou ne savent pas et ne peuvent surtout pas faire ?

II

L’offre d’alternance démocratique et générationnelle : l’unique voie du succès et le Cap de la Nouvelle Espérance ivoirienne


            La sortie de l’inconfort politique ivoirien actuel passe nécessairement par quatre grandes opérations de révolution citoyenne, sur le fond d’une insurrection des consciences. J’entendis par « révolution citoyenne », une lutte éclairée pour la naissance d’un champ politique réellement républicain, garanti par un Etat de droit véritable, une gestion exemplaire du Bien Public sur le fond d’une éthique de la responsabilité, un passage de la querelle des héritiers ou rivaux à la compétition des projets, un passage de la propagande politique ambiante sur l’émergence à la transformation effective de la socioéconomie ivoirienne, et bien sûr la prise en main de l’avenir du pays par une élite démocratique et compétente qui a elle-même encore de l’avenir. Tout ceci requiert l’avènement d’hommes et de femmes résolument debout pour leur propre avenir. Bernard Dadié l’avait si bien dit : point d’indépendance sans travail !


 Opération « Révolution Citoyenne » : marcher vers l’Etat de droit en Côte d’Ivoire


            Une offre politique concrète d’un nouveau parcours citoyen de vie de l’ivoirien ordinaire doit entrer à l’œuvre dans une action pédagogique de masse. Loin de tenir son avenir de l’allégeance à un parti, une ethnie, ou une idole humaine, le citoyen doit être amené à constater qu’il ne réalisera son essence humaine que dans une Nation régie par le Droit, c’est-à-dire où les personnes individuelles et morales seront toutes égales devant la Loi Juste. La révolution citoyenne ivoirienne devrait être une révolution en vue de penser des institutions efficaces dans l’application du droit à tous et chacun. Telle est la tâche des éducateurs politiques de l’opinion : montrer ce cap, comme la seule voie de succès pour cette nation.


Opération «  Transparence dans la Gouvernance » : marcher vers l’Etat gestionnaire exemplaire en Côte d’Ivoire


            Comme on l’a vu par exemple au Cameroun de Paul Biya, un régime corrompu ne peut pas combattre la corruption. Une nouvelle offre politique doit procéder à la mise au pas de l’intérêt national, des institutions étatiques et paraétatiques. Par conséquent, rien n’importe autant que de déloger les colonies familiales, claniques, tribales et ethniques constituées par de nombreuses élites politiques ivoiriennes dans les ministères, entreprises et institutions nationales. Une politique de désethnicisation des pratiques institutionnelles s’impose, qui tiendrait à la fois compte des impératifs de légitimité, de diversité sociologique et de genre,  de sécurité, de compétence et de transparence dans l’attribution des fonctions publiques.


Opération « Retraite des héritiers et rivaux du Père Fondateur Houphouët » : marcher vers la compétition des forces d’avenir et sortir de celle des forces réactionnaires


            Le peuple de Côte d’Ivoire, avec ses 90% de citoyens de moins de 50 ans, n’a pas le choix. IL doit confier, dans toutes ses familles politiques comme dans le pays, son avenir à ceux de ses fils et filles qui ont encore eux-mêmes de l’avenir. Ceux qui ont encore l’énergie et les idées neuves pour faire un pays meilleur pour les populations qui partagent leurs rêves. Pourquoi l’alternance générationnelle s’impose-t-elle ? Par souci d’efficacité, d’équité et de fluidité des forces de vie disponibles en Côte d’Ivoire.  Non pas parce que nos anciens seraient des incapables, mais précisément parce qu’ils ont fait leur temps et doivent laisser les nouvelles générations faire le leur. La tradition véritable est transmission, et il n’y a pas de transmission sans renouvellement, sans renaissance.

        Les Présidents Ouattara, Bédié et Gbagbo représentent désormais le passé politique de la Côte d’Ivoire. Tous et chacun ont exercé du mieux qu’ils le pouvaient le pouvoir d’Etat. IL leur appartient donc de pardonner à la Côte d’Ivoire, de lui accorder une nouvelle chance en se mettant eux-mêmes, à l’instar des anciens Présidents du Ghana, du Sénégal, du Bénin, d’Afrique du Sud ou de Tanzanie, à la disposition de leur pays comme des sages de la nation. Et tous ceux qui, à leurs côtés, aiment réellement la Côte d’Ivoire, dans un monde en mutations rapides comme le nôtre, ne doivent-ils pas les aider à prendre résolument cette décision ?


Opération «  compétition des projets d’avenir » en lieu et place de la propagande passéiste


            Le renouvellement générationnel et démocratique de la direction du Peuple de Côte d’Ivoire, par la voie pacifique de l’élection juste et transparente, passe par un saut qualitatif préalable : le passage de la politique des arrangements à la politique du respect strict de la souveraineté populaire. Voilà pourquoi rien n’importe autant pour la renaissance ivoirienne que la transparence des mécanismes de transmission et d’exercice du pouvoir d’Etat. La Commission Electorale Ivoirienne ne peut pas se permettre d’être la chasse gardée d’un Clan, celui du RHDP dit « unifié », sans menacer gravement l’avenir, la paix et la stabilité des institutions du pays. C’est seulement une concurrence loyale et positive entre les projets d’avenir qui arrivent, qui assurera à la Côte d’Ivoire, une authentique renaissance politique, culturelle, économique, sociale et spirituelle. J’ai pour ma part le bonheur d’œuvrer auprès d’un Leader Démocratique et Générationnel, Guillaume Kigbafori Soro[8], qui est convaincu que ces quatre opérations fondamentales constituent la Via Regina – la Voix Royale-  de la future grandeur ivoirienne. Si vous en convenez avec nous, Oeuvrons ensemble ! Oui, nous sommes ensemble !
 
 

[1] « Depuis Mankono, Hamed Bakayoko assène ses vérités aux cadres du Woroba », Politik Afrik, 20 juin 2017. Voir aussi : « https://angeeverse.wordpress.com/2011/08/02/comment-ouattara-a-instrumentalise-les-ivoiriens-du-nord/ »
[2] http://koaci.com/prime/js/cote-divoire-sortie-bedie-face-chefs-akans-guikahue-repond-joel-nguessan-amnesique-123639.html
[3] https://www.ivoirebusiness.net/articles/cote-divoire-lida-kouassi-chaque-population-ivoirienne-doit-avoir-comme-representants-ses
[4] http://www.ivoirematin.com/news/Societe/cote-d-rsquo-ivoire-1-5-milliard-de-f-cf_n_46826.html
[5] https://iciabidjan.com/marches-publics-politique-de-lautruche-ne-paie-plus-estime-president-de/
[6] https://afrique.latribune.fr/politique/2018-08-05/cote-d-ivoire-ue-le-rapport-qui-denonce-les-pratiques-du-regime-outarra-787076.html
[7] « Je veux dire en tant qu’observateur politique de la Côte d’Ivoire, le second mandat d’Alassane Ouattara sera un mandat social. Et ce virage social sera d’autant plus aisé que les fondamentaux auront été posés. »
En savoir plus sur http://rjryopougon.ivoire-blog.com/archive/2014/07/23/ouattara-a-retabli-les-fondamentaux-de-la-cote-d-ivoire-448136.html#xiv3XPTqk3WmwzRf.99
[8] http://www.leseditionsdunet.com/essai/5437-phenomenal-guillaume-soro-incarnation-d-une-generation-africaine-franklin-nyamsi-9782312057491.html

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