FRATERNAFRIQUE

Abonné·e de Mediapart

52 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 avril 2016

FRATERNAFRIQUE

Abonné·e de Mediapart

Qui s’intéresse encore à l’impérialisme français ? (Claude Serfati)

Des morceaux choisis de cette remarquable expertise de Claude Serfati (entretien publié par la revue Période).

FRATERNAFRIQUE

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

            Souvent remis en cause, le concept d’impérialisme est essentiel à notre compréhension du monde. Loin d’être une lubie conspirationniste, ou encore un synonyme du colonialisme, il comporte des dimensions politique, économique et sociale. Pour Claude Serfati, il faut comprendre l’impérialisme comme l’expression politique des impératifs de l’accumulation du capital. À travers ce concept, il peint un tableau saisissant de la France d’aujourd’hui : une industrie exsangue et un faible potentiel d’expansion, compensées par une politique ultra-belliciste, néocoloniale, appuyée par de grands groupes stratégiques (armement, nucléaire, pétrole).

 (...) De Gaulle a transformé les institutions politiques mais il a aussi fait de l’armée la colonne vertébrale des institutions de la Ve République. Il a également conforté l’armée en développant l’arme nucléaire, qui donne à la France un certain statut mondial qu’elle possède encore. Et puis il l’a fait en utilisant l’Afrique, en imposant que l’indépendance accordée aux colonies se double d’un contrôle immédiat et militaro-économique de l’Afrique, l’Algérie exceptée puisqu’il y a eu la guerre d’indépendance coloniale.
(...) En France, il y a une forte tradition marxiste d’anti-impérialisme américain qui malheureusement se double, pour le dire poliment, d’une certaine ignorance de l’impérialisme français.
(....) Il existe un lien entre l’excroissance d’une bureaucratie qui n’est plus contrôlée par les masses, ni par la démocratie, mais par le capital, et le développement de tendances autoritaires et répressives. On peut également voir en France les liens qui existent entre l’autoritarisme – l’état d’urgentisme comme mode de domination politique – et l’impérialisme extérieur.
(...) La Ve république correspond à une réelle consolidation du système militaro-industriel. Il est constitué de l’armée, des grands groupes industriels et d’exécutifs – le président et le parlement, bien que ce dernier n’ait pas grand-chose à faire sur les questions de défense.
(
...) Ce système est au cœur de l’économie française. Il faut savoir que plus d’un cinquième des dépenses de Recherche et Développement, donc des recherches qui concourent à l’innovation et donc en principes aux performances des entreprises, en particulier à l’exportation et à la compétitivité, est réalisé par les sept grands groupes industriels de la Défense.
(....)
Il y a plusieurs facteurs à la résurgence du militarisme. Il y a le facteur historique : la France s’est construite comme une puissance militaire. La France est d’ailleurs restée une puissance militaire et la façon dont elle a entretenu des liens avec les anciennes colonies est singulière. Il n’y a aucun pays développé où l’ingérence militaire et l’influence économique sont aussi liées qu’elles ne le sont dans les relations de la France avec l’Afrique subsaharienne.
(...) Il y a deux piliers qui maintiennent le statut politique de la France dans le monde, le nucléaire et l’Afrique. Il est donc évident que l’accélération de l’interventionnisme en Afrique, dans le contexte que j’ai décrit, vise à garder ce qui est vital pour l’impérialisme français.
(...) La France a toujours vendu des armes puis ensuite composé la diplomatie en fonction de ces ventes. Ce qui est nouveau, c’est d’abord la frénésie, liée aux guerres, à un interventionnisme militaire accru depuis Sarkozy et Hollande, et ensuite la relation avec la crise économique et politique, que vit toute la planète, mais que vivent physiquement l’Afrique et le Moyen-Orient.
(...) Quant à l’argument selon lequel cela redresse les sondages d’opinions, je n’y crois pas. On a vu avec Sarkozy et Hollande que ça ne marche pas. C’est un argument inutile. Il n’y a pas besoin de ce facteur. Les pulsions militaristes actuelles renvoient à la fois à des causes historiques (permanence du rôle du militaire) structurelles – crise économique et affaiblissement politique de la position de la France- et à des facteurs internes au système militaro-industriel.
(...)
Il n’y a pas eu de rupture entre Sarkozy et Hollande, au contraire il y a un approfondissement de la voie ouverte par Sarkozy. Les raisons que j’ai évoquées sont les mêmes : la tradition militariste de la France, la place de l’Afrique pour le statut de la France.
(...) L
es inquiétudes à cet égard trouvent très peu d’expression publique.  Une raison à ce silence ‘en haut’ est l’extrême faiblesse d’un mouvement anti-guerre ‘en bas’. La situation que connait la France est très différente de celle qui existe en Grande-Bretagne.
(...) En France, il existe une tradition d’État fort et militairement interventionniste. La cohésion sociale se délite, elle aggrave la crise de domination politique, et elle est alimentée par l’extrême-droite qui a une longue tradition en France (voir les travaux de Z. Sternhell) : l’antisémitisme évidemment, et dans la continuité exprimée par les partisans de l’Algérie française, de très fort relents anti-maghrébins qui prennent de l’ampleur aujourd’hui. (...) Et puis les institutions de la Ve République sont fondamentalement anti-démocratiques (voir les travaux de Dominique Rousseau, René Alliès…) La France vit une situation d’implosion sociale, qu’on nomme de façon trompeuse une « crise des banlieues ».
(...) La France connait donc une forme de domination politique qui est déjà par nature anti-démocratique (« un coup d’État permanent » écrivait Mitterrand !)  même si évidemment il ne s’agit pas de dictature. L’état d’urgence est le prolongement bonapartiste de l’État et le processus est graduel. L’État d’urgence se combine à l’extension des idées de l’extrême-droite dans la société française. C’est par touches successives et simultanées que cela se passe. Il existe un lien entre l’interventionnisme extérieur et l’état d’urgence intérieur.
(...) Il n’y a pratiquement pas d’analyse de l’impérialisme français qui est faite par des intellectuels marxistes en France. Cela tient à des causes générales, et d’abord aux difficultés de comprendre ce qu’est l’impérialisme. Et puis il y a des facteurs spécifiques à la France. La tradition qualifiée de souverainisme n’existe pas seulement depuis que Bruxelles « nous dicte ses lois » c’est-à-dire depuis une vingtaine d’années. L’idée, au moins depuis 1945, que la France a un rôle spécifique à jouer dans le monde était partagée par De Gaulle et le parti communiste. Cette alliance, sans doute contre nature a pris le nom de « soutien au caractère positif de la politique extérieure du général de Gaulle ». Elle explique en partie la difficulté à lutter contre le militarisme. Ceux qui congratulaient Chirac en 2003 parce qu’il s’opposait à la guerre décidée par Bush omettaient qu’exactement en même temps, la France intervenait directement avec son armée en Côte-d’Ivoire… Si on prend la question de l’Afrique, hormis le travail inlassable d’ONG (tels que Survie), il n’y a pas d’institution, pas de mouvement pacifiste puissant. Les recherches académiques sur l’industrie de défense en France sont rares et elles dépendent de financements accordés par  le ministère de la défense…
(...)
C’est une vieille histoire, elle remonte au moins à 1914, lorsque les partis sociaux-démocrates sont tous entrés dans la guerre faite par leurs gouvernements. Ils violaient leurs propres déclarations faites quelques années plus tôt, ils bafouaient cette déclaration de Jaurès affirmant que la société  capitaliste « porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l’orage". 

http://revueperiode.net/qui-sinteresse-encore-a-limperialisme-francais-entretien-avec-claude-serfati/

Claude Serfati

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.