Hier, une fois de plus, comme une rengaine triste et nauséabonde, nous avons appris, par la presse, les circonstances du décès de l’un des nôtres.
Nous ne l’avons pas appris sous la forme d’une communication sobre et respectueuse, habituellement privilégiée lors du décès brutal d’une personne, mais sous la forme d’un vomi voyeuriste, sensationnaliste, à grand renfort de détails scabreux sur la sexualité, les pratiques d’usage de drogue, les circonstances d’une rencontre, le nombre de partenaires. Le journaliste n’a pas fait état des pratiques sexuelles. N’y voyons là aucune pudeur journalistique mais seulement un manque d’informations qu’il doit probablement déplorer tant les détails croustillants susceptibles d’émoustiller et d’attiser la haine homophobe de ses lecteurs furent contrariés.
Le Parisien, titre prestigieux aux enquêtes et investigations dignes d’un prix Pulitzer de pacotille, suivi de près par Le Figaro, connu pour son objectivité, son progressisme et le soutien à nos communautés, déverseront tour à tour, tous les détails les plus intimes relatifs à ce drame.
L’on pourrait se dire qu’il s’agit de la liberté de le presse et du droit d’informer. Cela n’est pas contestable.
En revanche, quelques heures seulement après le décès de Laurent, sans même une déclaration du procureur, des avocats de la famille, sans conclusions médicales puisque l’autopsie est en cours, sans un mot de la famille, comment un journaliste peut-il publier un tel article aussi détaillé sans avoir reçu directement les informations de la police ?
Ses amis proches ignoraient même, jusqu’à la parution de ces articles, les circonstances de son décès. La toile fut envahie très rapidement de messages d’amour, d’amitié, de respect pour l’homme, son intelligence, ses engagements. Tristesse et stupéfaction furent pendant plusieurs heures les mots les plus récurrents qui s’étalaient sur les réseaux sociaux.
Nous pouvons supposer que si ses amis les plus intimes n’avaient pas plus de détails et s’ils ne les communiquaient pas, c’est probablement que la famille, en état de choc, ne devait pas non plus en avoir.
Alors, comment, sans même respecter l’espace de quelques heures le décès d’un homme de 59 ans et la souffrance de sa famille et de ses proches, un tabloïd à la Française peut-il révéler, au mépris de toute règle d’éthique et de déontologie, des informations qui n’appartiennent qu’aux enquêteurs et à la justice ? Où est le secret de l’instruction ?
Comment peut-on publier de telles informations sans même penser à la famille ?
Le Parisien est coutumier de cette violence. Depuis plusieurs années, à chaque décès d’un homme gay en contexte de chemsex, l’information tombe par l’intermédiaire du Parisien qui se gargarise du décès des nôtres avec la complicité des forces de police qui transmettent les informations. Il serait temps que la justice remette de l’ordre et rompe avec ces collusions malsaines qui sonnent comme une double peine pour les familles et les proches.
Ces organes de presse relaient-ils les décès par surdose en contexte sexuel en population générale ? Publient-ils de longues nécrologies ponctuées de pornographie lorsqu’un hétérosexuel meurt en plein ébat des suites d’une consommation de produits psychoactifs ? Font-ils état des nombreux féminicides perpétrés par des hommes alcoolisés ? Feuilletonnent-ils pendant des semaines lorsque qu’une femme parlementaire est victime de soumission chimique ?
Non.
Les gays sont systématiquement stigmatisés, pointés du doigt. Leurs pratiques sexuelles sont jetées en pâture. Nos tristesses et nos pertes sont occultées. Seul le sensationnalisme aux relents homophobes prime. Nous le vivons à chaque fois. Ici, c’est un pharmacien de Limoges qui serait tombé dans une partouze en consommant un solvant pour jantes de voitures en compagnie de trois éphèbes. Là, c’est Palmade et un procès du chemsex pendant des semaines alors que l’on ne devait juger qu’un délinquant de la route consommateur, c’est un député qui achèterait sa drogue dans le métro à un mineur ou un assistant parlementaire gay sous 3MMC. On pourrait également s’étonner de la différence de traitement médiatique lorsqu’il s’agit d’un gay de droite bien propre versus un gauchiste dépravé. L’usage de drogues ou l’homosexualité ne sont pas l’apanage des gauchistes.
Redondant, récurrent, stigmatisant, violent, homophobe, irrespectueux de nos communautés. On lâche les lions sur les réseaux sociaux. Les droitards ont une nouvelle proie à déchiqueter au nom de la morale. Tout cela nous renvoie aux années sida. Nous tombions les uns après les autres et cette même presse nauséabonde dénonçait nos pratiques sexuelles, notre orientation sexuelle. Finalement, peut-être mériterions-nous ce sort, nous qui, au mépris du sida, voulions vivre notre sexualité.
Je ne ferai pas un portrait de Laurent élogieux. D’autres, mieux placés que moi, pourront le faire justement, dignement et respectueusement. Les engagements humanistes et antiracistes de Laurent, son implication à la Licra, pour la Panthéonisation de Joséphine Baker, sa judéité, son appartenance à la franc-maçonnerie, son orientation sexuelle sont autant de raisons de les traiter, lui et sa famille et ses amis, avec mépris et indifférence. Les conservateurs, extrémistes, racistes, complotistes se gargarisent rien qu’à la lecture de son curriculum vitae.
Je suis très en colère. Pensez-vous que nous, communautés LGBTQI+, ne souffrions pas de ces décès qui nous rappellent, même s’ils ne sont pas comparables, les années d’hécatombe sida ? Pensez-vous que lorsque nous enterrons l’un des nôtres, nos cœurs sont dans une sex party interminable et que nous ne contribuons pas à la violence systématique à laquelle sont exposées nos communautés ? Avez-vous pensé à la famille lorsque vous décrivez les dernières heures de la vie d’un fils, d’un frère ?
Vous êtes dégoûtants, vulgaires, homophobes, racoleurs, inhumains et abjects. Vous faites honte a votre profession de journaliste. Nous ne sommes plus dans l’information mais dans un plaidoyer politique homophobe sécuritaire.
Laurent, à toi comme aux autres, partis trop tôt dans des circonstances que nous, professionnels de l’addictologie, militants associatifs, acteurs communautaires , tentons d’accompagner au mieux pour éviter de nouveaux drames, je veux te dire tout mon respect pour tes engagements et qui tu étais.
Face aux éventuels dangers liés au mésusages, aux conduites addictives, aux problématiques psychosociales sévères, aux décès, nous avons besoin d’une véritable stratégie de santé publique en réponse à ce phénomène. Les réponses sécuritaires, prohibitionnistes, morales, les déballages grossiers et les représentations médiatiques nuisent à la prévention et à la prise en charge précoce des usagers en difficulté. Seule une approche pragmatique de santé publique déconnectée de la morale et du jugement peut aider nos communautés à réduire les risques.
Fred Bladou, activiste sida, professionnel des champs de l’addictologie. Coordinateur pédagogique, chemsex et usages sexualisés de drogues.