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Billet de blog 1 janvier 2009

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3/4 - VOUS AVEZ DIT "MORALE" ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

3/4. Suite de la Conférence de Raymond MALLERIN

Professeur, Inspecteur d'académie

II- La Morale. Sa définition et ses fondements

C’est ici que les philosophes s’en sont donné à cœur joie. Des milliers et des milliers de pages ont été et continuent d’être écrites sur le sujet. Depuis un demi-siècle environ, le problème s’est encore compliqué avec l’emploi, de plus en plus fréquent, du terme « éthique » et donc avec la différence à établir entre morale et éthique. Et je dois dire que la lecture de cette littérature philosophique, dans laquelle je me suis un peu plongé, m’est apparue comme particulièrement complexe et ardue, pleine de contradictions et écrite dans une langue souvent jargonnante, et donc très peu compréhensible par le commun des mortels.

En taillant à coups de serpe dans ce maquis, en utilisant des raccourcis simplificateurs, en m’en tenant donc à l’essentiel, je pense, malgré tout, m’être fait quelques idées relativement simples sur la question, que je me propose de vous communiquer.

II1- Ethique et morale

Bien que les deux mots aient exactement la même étymologie ( l’un, morale, tiré du latin mores mœurs , l’autre, éthique, forgé à partir du mot grec ethos, mœurségalement), les philosophes se sont étripés et fortement contredits sur la différence à établir entre les deux notions. Pour ma part, me fondant plutôt sur l’usage, je ferais la distinction suivante :

La morale, prise dans son sens le plus riche, ( et non dans celui de recueil de normes imposées), renvoie à la réflexion sur ce qui fonde le bien et le mal et sur le sens que l’on peut donner à la vie .Dans ce sens, le mot est fondamentalement au singulier.

L’éthique, elle, concerne l’application de la morale dans l’établissement de règles spécifiques à tel ou tel domaine particulier. En ce sens le terme éthique me paraît assez proche de celui de déontologie. C’est ainsi que l’on peut parler d’éthique médicale, d’éthique de la recherche, d’éthique écologique, de bioéthique… S’il y a donc une morale, il y a plusieurs éthiques.

II2- Définition et fondement de la morale

Il y a tellement de définitions et de théories complexes, subtiles et alambiquées de la morale que je pense que le plus simple est de partir des courtes définitions du Petit Larousse :

  1. « Ensemble de normes, de règles de conduite propres à une société données. »

  2. « Ensemble des règles de conduite tenues pour universellement valables »

  3. «. Philo. Théorie du bien et du mal, fixant par des énoncés normatifs, les fins valables de l’action humaine. »

En fait, à travers ces trois définitions un peu simplistes, apparaissentles deux grands courants de pensée qui, sous des formes diverses dans l‘analyse, ont départagé les philosophes qui se sont occupés de la morale.

Si la réflexion théorique, dont parle la troisième définition, amène à considérer que la morale n’est valable que pour « une société donnée » ( définition 1), c’est que son fondement est relatif et que le bien et le mal sont des notions variables, dans le temps et dans l’espace .

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Si, au contraire, la réflexion conduit à penser que la morale se réfère à des valeurs universelles (définition 2), c’est que son fondement est absolu et que le bien et le mal sont des entités universelles et intemporelles imposant à leur égard ce que Kant appelle l’impératif catégorique.

II2/1- Les partisans d’un fondement absolu de la morale

Cette catégorie, très nombreuse, regroupe aussi bien des philosophes proprement religieux pour qui la base de la morale est Dieu, dans sa transcendance et à travers les religions (St. Augustin, St. Thomas d’Aquin, Pascal…) que les philosophes idéalistes, adeptes de grands principes fondateurs comme le Bien en soi (Platon), la Raison ( Kant). A l’opposé de ces penseurs, mais toujours dans le camp des partisans d’un fondement absolu de la morale, l’on trouve les marxistes avec leur croyance dans l’absolu du Progrès et de l’Histoire. Pour les uns comme pour les autres, la croyance au fondement absolu de la morale s’accompagne nécessairement de l’innéité de la conscience morale en chaque homme.

Si différents soient-ils, tous ces mouvements de pensée s’accordent donc pour considérer que la morale repose sur un fondement absolu. Dans une perspective totalement inverse, d’autres courants de pensée se sont plus récemment développés pour estimer qu’il n’existe pas de fondement absolu de la morale et que ses bases sont relatives.

II2/2 - Les partisans de la relativité de la morale

Devant tant d’évolutions historiques dans notre propre pays (esclavage, servage, colonialisme, royauté, démocratie…), devant tant de contradictions dans les usages entre les divers pays et diverses civilisations, notamment sur le rôle et les droits de la femme ( voile, excision, travail…) devant la multiplicité des réponses faites aux nouvelles complexités apportées par le progrès scientifique ( génétique, clonage, euthanasie…), devant donc une telle diversité de conceptions du bien et du mal, devant tant d’horreurs perpétrées au nom de valeurs contradictoires (le génocide des populations indiennes d’Amérique, le nazisme et la shoah, le goulag, les guerres mondiales, les conflits armés un peu partout, le terrorisme …) comment croire à un souverain Bien qui s’imposerait par sa valeur absolue et universelle ? « Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà. » avait déjà dit Pascal ». Plus la connaissance de l’histoire se développe, plus la découverte du monde s’élargit et moins l’on est tenté de croire à un fondement absolu et universel de la morale. Et je m’inscris, quant à moi, dans ce deuxième courant.

Mais ne pas croire à un fondement absolu de la morale ne signifie pas nécessairement ne pas croire aux valeurs ; c’est seulement penser que ces valeurs sont relatives. Sans doute certains ont-ils conclu de cette relativité qu’aucune morale n’a de valeur, que tout se vaut et que donc rien ne vaut et que donc … tout est permis. Ce courant de pensée a été notamment illustré par Nietzsche et les nihilistes comme Bakounine.

Beaucoup d’autres penseurs, plus contemporains sans doute, considèrent que les valeurs, si relatives qu’elles soient, existent bel et bien et qu’elles doivent servir de références à notre conduite « ici et maintenant ». Il s’agit, en quelque sorte de ce que j’appellerais volontiers un « relativisme constructif ». Je rassemblerais volontiers sous cette bannière des philosophes aussi divers que Marcel Conche, Axel Kahn, Luc Ferry, André Comte-Sponville, Monique Canto-Sperber…

Pour eux, les valeurs, qu’elles soient tirées de notre héritage culturel, qu’elles soient nouvellement établies, qu’elles soient à inventer, en fonction d’un futur prévisible, existent. Quand nous avons à agir, certes, il n’est pas question d’obéir automatiquement à je ne sais quel catalogue normatif de règles imposées, mais nous devons bien analyser la situation et choisir la ou les valeurs à adopter, en mesurant bien les conséquences de notre acte. Procéder ainsi, c’est donner vie à notre conscience morale, c’est la créer.

Et les valeurs que j’aurai choisies — même si, puisqu’elles sont relatives, je suis prêt à les critiquer et à les remettre en cause ultérieurement et en d’autres circonstances — ces valeurs, je dois les adopter résolument, les défendre de toutes mes forces en les considérant non comme universelles, mais comme universalisables, au moins pour un temps donné . Nous rejoignons là Kant, lorsqu’il affirme : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir qu’elle devienne une loi universelle. » L’on pourrait qualifier une telle manière d’agir d’une expression a priori paradoxale, en forme d’oxymore, celle d’ « absolu relatif ». La valeur de référence de notre action devient un absolu pour nous sans en être un en soi. Le devoir que nous nous imposons est pour nous « un absolu subjectif », « un absolu pratique ». Mais ce relativisme constructif suppose tout de même un postulat et une référence de base.

Le postulat, c’est de croire que l’homme est libre et qu’il n’est donc pas déterminé par une prédestination divine, pas plus qu’il n’est conditionné par ses gènes et par son environnement. Certes ces deux contraintes existent, mais l’homme peut largement s’en affranchir par l’exercice de sa liberté Il s’agit bien là d’un credo, le seul revendiqué, celui de la liberté de l ‘homme, la foi en sa liberté.

La référence de base qui, seule, peut donner du sens à ce relativisme constructif, c’est l’existence de l’autre, c’est l’altérité. Et je voudrais vous dire maintenant quelques mots sur ce que je considère comme la vraie morale, la morale de l’altérité.

II2/3 - La morale de l’altérité

Je pense en effet, dans le sillage de quelques grands penseurs comme Luc Ferry, Levinas, Habermas et bien d’autres, que la base de la morale c’est l’existence de l’autre. Je rejoins ici, par un tout autre chemin le thème du dernier Printemps des poètes. C’est l’autre qui me révèle à moi-même. Il me fait prendre conscience de ma propre personne. Axel Kahn définit parfaitement le phénomène de l’altérité : « L’homme n’a pu prendre conscience de lui-même que grâce à l’image reflétée par le miroir formatant et déformant de l’autre. Nul être n’a pu prendre conscience de lui-même sans l’autre. » ( « L’homme, le bien, le mal » p.35 ). Levinas confirme et amplifie : « A partir de l’existence de l’autre, nous prenons conscience de notre moi, mais aussi de quelque chose de commun entre moi et toi, qui est à proprement parler l’humanité. » Avec cette affirmation, il rejoint Montaigne : « Chaque homme porte en soi la forme entière de l’humaine condition. » Notre être, dit Heidegger, est un mitsein, un être ensemble,ou mieux encore, un mitsein andersein, un être les uns avec les autres.

Mais, au départ, la conscience de cet être ensemble peut se manifester de deux façons différentes :

  • ou bien l’autre m’apparaît comme un obstacle, comme quelqu’un qui me barre la route, qui va s’opposer, par son existence même, à la plénitude de ma propre existence et ce sera l’ennemi ( « L’enfer, c’est les autres. » écrira Sartre)

  • ou bien l’autre m’apparaît comme un autre moi, un révélateur de notre humanité commune et donc comme un frère, un ami. Et, dès lors, je lui dois respect et amour. Pour Levinas, le « regard de l’autre » m’appelle à lui tendre la main. Pour Habermas, la présence de l’autre implique la nécessité du dialogue dans le respect réciproque.

Chaque vie d’une personne, d’une famille, d’un groupe est confrontée à cette dialectique de l’égoïsme et de l’altruisme. Mais bien évidemment, le sens de la morale, c’est de faire prévaloir la deuxième attitude sur la première. Et je crois que c’est l’épreuve à laquelle chacun est confronté, dans sa vie personnelle comme chaque groupe, chaque nation, dans la vie sociale et internationale. Dans la vie personnelle, le devoir impliqué par l’altérité, ce sera de faire triompher, contre l’égoïsme, l’indifférence, l’hostilité et la violence, les vertus du respect, de l’amitié et plus largement de l’amour des autres. Dans la vie sociale, politique et internationale, le devoir impliqué par l’altérité se traduit par la trop théorique devise républicaine « liberté, égalité, fraternité » et par la lente et fragile émergence des « Droits de l’Homme ».

C’est seulement dans le cadre de cette opposition entre l’affirmation de soi contre les autres et l’affirmation de l’autre comme égal à soi que résident les notions de bien et de mal et non dans deux entités absolues et préexistantes. Je terminerais volontiers ce développement, consacré à la morale de l’altérité, par cette nouvelle citation d’Axel Kahn : « J’appelle bien tout ce qui procède de la pensée, et des actions qui en découlent, ayant comme objectif de préserver l’humanité de l’autre en ce que je la reconnais équivalente à la mienne propre…Lorsque mon action prend en compte cette évidence et, par conséquent, préserve ce qui me semble essentiel dans l’humanité de l’autre, son autonomie, ses chances d’épanouissement, cette action est bonne. Ne le seront pas, à l’inverse, les entreprises, les actes se fixant pour objectif d’attenter à l’humanité d’autrui, de la nier, ou bien qui ne feront que témoigner d’une négligence envers le souci de l’autre, de ses conditions d’accès à la joie, au bonheur, d’une indifférence à son épanouissement autonome ».( op.cit. p. 65)

Reste à nous demander si, par rapport à cette opposition, à cette lutte pour faire triompher la deuxième conception sur la première, notre société actuelle est plus - ou moins - morale que les précédentes.

(à suivre...)

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