Venez, venez, approchez, mesdames et messieurs, assistez au Théâtre des guignols de l’Elysée.
Ce spectacle a lieu tous les mercredis à dix heures sous le chapiteau dressé dans la cour du château. Un écran géant transmet ce qui se passe à l’intérieur.
Victimes d’ex croissance, une trentaine de marionnettes s’activent, jouent des coudes, se tapent sur la tête, faisant allégeance au guignol en chef, une sorte de gendarme qui bastonne à tout va. Une réminiscence de la « Commedia dell’arte » dont les acteurs improvisent des comédies marquées par la naïveté, la ruse, l'ingéniosité et la contradiction.
L’entrée est gratuite, des cadeaux en bon argent sont offerts aux PDG repus et des piécettes aux artisans et commerçants. Le répertoire est immuable, on ne parle que de pognon par ci, de pognon par là et le peuple des manants se voit obligé de verser son obole à la sortie.
Le grand conifère, celui qui, au fond de la scène plie sous le vent, envoie une bordée de pives :
- A votre bon cœur, enfants de la patrie, le théâtre est en faillite et il est grand temps de changer le décor à vos dépens(es).
Et d’un ton péremptoire, le grimé en chef à la tête de bois admoneste ses marionnettistes :
- Vous prenez des libertés sur le scénario, chacun improvise et jacte son couplet personnel. Ce n’est plus l’époque de se prendre pour un « héros », je suis le chef, vous devez obéissance à mon subordonné, le fossoyeur, jusqu’à la mort prochaine de vos idéaux démagogiques.
L’électricité est dans l’air, l’orage menace de s’abattre et de détruire ce théâtre de l’ombre. Sur scène, des protestations fusent de toute part, le public applaudit, se délecte jusqu’aux larmes. Puis, une bataille d’invectives s’empare de ce film fellinien, des corps blessés d’amour propre se jettent par-dessus bord, l’écran se brouille puis c’est rupture à l’émetteur.