…De mon enfance, que l’on élevait dans un enclos, au bout du jardin de betteraves, son plat préféré. Il avait droit à des extras, à la fin de repas campagnards, mais aussi une fois l’an, lorsque la famille se réunissait pour la fête du cochon, nous faisions bombance avec celui de l’an passé. Ce n’était que boudins, atriaux, saucisses et l’art fumé et, pour couronner le tout le jambon mijoté toute une nuit dans le foin.
J’étais parfois troublé de manger ce cochon que j’avais nourri, caressé son poil dru. J’étais avec lui copain comme cochon. Mais c’était l’usage, le mode vie de l’époque, et cette pensée funeste s’échappait bien vite de mon esprit. Mon cochon, c’était mon cochon et celui des autres m’importait peu.
Pour preuve, je vous raconte cette anecdote vécue :
La neige venue, Ferdinand, mon père, attelle son cheval à une luge de bois et s’en va, alors que le jour n’est pas encore levé, rejoindre une ferme isolée pour « faire boucherie ».
Le paysan, sa femme et ses enfants l’accueillent à la cuisine où toute une batterie de casseroles et de brocs ont été astiquée et déposée sur la grande table. Sous l’avant-toit, de l’eau bout dans une énorme chaudière de cuivre puis son contenu est versé dans une maie rectangulaire en bois de chêne.
En un tournemain, Ferdinand estourbit le premier cochon, le saigne, le renverse dans l’eau bouillante qui fait office de crème à raser. Son frère de lait suit le même sort, non sans avoir opposé de la résistance, criant à tue-tête car lui, il sait ce qui l’attend !
Après le dépeçage, le découpage, vient le rituel du nettoyage des boyaux puis de la fabrication du boudin, des saucisses et des saucissons. Toute la famille en a plein les mains de cette viande rose bonbon, de cette graisse de saindoux qui sert à rôtir les patates. Jusqu’aux gamins à la mine barbouillée qui se lèchent leurs doigts sanguinolents, comme s’il s’agit de confiture !