Femme à l'éventail, Gauguin, 1902
Il est des événements qui n’apparaissent que dans les rêves. Et puis, il y a les bons et les mauvais. Le plus frustrant dans les baux rêves, c’est qu’en général, on se réveille au moment précis où l’on allait toucher le gros lot ou séduire la belle américaine. On tente vainement de le faire durer, d’imaginer la suite. Peine perdue, on est à nouveau sur le plancher des vaches, dans la triste réalité des petits matins blafards. Aujourd’hui, je suis gâté. Cette nuit, j’ai fait fort. Imaginez plutôt :
Un attique sur les toits, une pièce unique, grande, deux cents mètres carrés au bas mot. Des sofas roses, bleu pastel. Du marbre partout. Des tentures, des meubles précieux disposés par un décorateur de génie. Ne me demandez pas comment je suis là. En face, un autre attique, minuscule comme une chambre de bonne. Sans portes, ni parois.
Une femme, grande, mince, brune, s’avance vers moi, vêtue d’un unique déshabillé outrageux qui met en valeur tout ce qui doit l’être. Elle est belle. On la dirait sortie tout droit du Crazy, le maquillage en moins. Je la regarde, comme magnétisé, fasciné. Je me sens vraiment tout con. J’ai envie de fuir, d’échapper à cette emprise car je n’ai pas l’habitude de me faire squatter de cette manière.
Sans agressivité, mais sans la moindre pudeur, elle s’allonge naturellement à mes côtés, comme si elle l’avait toujours fait. Réveille-toi mon vieux, arrête de fantasmer. Rien n’y fait. J’hésite, puis m’enhardis à la toucher, à la caresser. Ses cuisses, bordel, quelles sensations ! De la soie, rien que de la soie.
A ce moment-là, tout bascule. Je suis dopé, je tiens la route, apparemment à la hauteur le mec. Elle en veut encore, et encore, insistante, mais en douceur. Assouvie, comblée, rassasiée, elle ne me dira qu’une chose, stupéfiante : « Tu fais mieux l’amour que le boucher du deuxième ».
Je ne l’ai même pas vue partir. La seule chose que je sais, c’est qu’elle reviendra. Je ne rêve plus, je suis réveillé, lucide, mais heureux. Me faire ça, à moi, un presque septuagénaire. Quel cadeau !
Je me mets à cogiter, un nuage passe, masque la pleine lune. La crainte m’assaille, me torture l’esprit. Bordel de merde ! Le sida ! Le sida ! Le sida ! Je n’y ai pas pensé un instant, je ne me suis pas protégé. Et puis tant pis, c’était si merveilleux. Comme un conte de fée. Pour une fois, me dis-je, je passerai entre les gouttes.
Alors, je songe aux adolescents d’aujourd’hui et de demain. Les tabous, les mœurs se sont enfin libérés. « Faites l’amour, pas la guerre ». Et patatras, voilà que ce virus à la con vient tout foutre par terre.
De notre temps, on mettait parfois des capotes pour ne pas donner la vie. Voilà qu’aujourd’hui, on emploie ce truc artificiel et désagréable pour ne pas donner la mort. Putain de vie !