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Billet de blog 19 juin 2008

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18 juin - Lettre au Général de Gaulle

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voici une lettre que j'ai publiée en 1990 dans le livre "Huitant-Neuf", Chronique d'un citoyen de Genève. Il me semble qu'elle n'a pas pris une ride!

Pas une ligne sur votre appel du 18 juin 40 dans la presse de ce jour.

Vous aurait-on oublié à ce point ? Quels ingrats, ces Français ! Lorsque l’on parle de vous, entre amis, la plupart conservent une « image » globalement positive de votre activité militaire et politique pour la France. C’est votre action lors de la dernière guerre qui reste la plus vive dans la mémoire des Français. Celles des vieux surtout, car les jeunes ne sont pas très copains avec l’histoire. Les hommes politiques qui se réfèrent au »gaullisme », les barons comme ont les appelle, ne font plus recette dans cette France moderne et européenne. Les socialistes ont conservé votre « force de frappe », l’essentiel de votre stratégie militaire.. Parmi la jeunesse, bien peu se passionnent pour la période de votre règne. Tout au plus ont-ils appris que les étudiants de mai 68 vous avaient fait perdre votre superbe et qu’ils n’étaient pas étrangers à votre excursion panique en Allemagne.

Même s’ils en crèvent, les Africains vous adorent et parlent de vous comme d’un père. J’ai beau leur dire que votre réputation est surfaite, que vous avez « bâclé » la décolonisation, que vous avez donné le pouvoir à des hommes qui n’étaient pas préparés pour l’assumer. Ils ne sont pas vraiment convaincus de la légèreté avec laquelle vous avez ordonné sans appel le retrait de la France et des Français. Vous avez trompé la France et la plupart des peuples d’Afrique. Vous endossez une grande responsabilité devant l’histoire et l’histoire portera un jugement sévère, une condamnation à titre posthume sur votre attitude et celle de votre gouvernement des années soixante.

Vous, l’homme du 18 juin, l’homme de la résistance, l’homme de la France libre, vous vous êtes fourvoyé du haut de votre « grandeur » en 1958 et en 1962. Vous n’aviez pas besoin de rentrer dans l’histoire, vous l'étiez déjà ! Pourquoi tant de précipitation ? Pourquoi ne pas avoir mis en place un processus de décolonisation planifié dans le temps, un plan d’accompagnement et d’encadrement avec la France, avec les Français d’outre-mer et les autochtones ? Cela aurait permis à ces peuples de trouver le chemin de la démocratie et d’une économie viable. Ces peuples qui, aujourd’hui, sont affamés et privés des droits démocratiques les plus élémentaires.

Ces peuples qui, chaque jour, souffrent et meurent, par votre faute, dans les pays que vous avez hâtivement abandonnés aux potentats et aux dictateurs.

Non seulement la France, Votre France, fer de lance de la colonisation a exploité, spolié, volé les ressources naturelles de ces pays, mais elle a imposé sa culture, sa civilisation, sa langue à des peuplades, à des tribus qui n’étaient pas préparés pour les recevoir. La France a interrompu l’évolution naturelle de leur civilisation et, une fois partie, dans les conditions que l’on sait, leurs chefs n’ont fait que « singer » les méthodes dictatoriales et hégémoniques de l’occupant français.

Vous étiez l’homme de la France métropolitaine, vous n’étiez pas l’homme de l’Afrique. Vous avez agi comme un vieil homme hautain, pressé d’en finir de votre vivant, pressé d’écrire vos mémoires et de compléter votre biographie. Dans une France qui vous adulait pour votre passé, et pour avoir fondé la Ve république et restauré l’ordre républicain en Métropole, aucune voix nes’est élevée pour vous contrer et aucune voix, aucune critique ne s’élève aujourd’hui pour fustiger la chienlit que vous avez instauré de l’autre côté de la Méditerranée. Vous avez décolonisé l’Afrique de la même manière que d’autres Français, avant vous, des généraux en particulier, l’avaient colonisée au nom de la France, au nom de sa « grandeur ». Cette France orgueilleuse que vous avez si bien incarnée, vous en étiez arrivé à douter d’elle, à faire le complexe de sespossessions coloniales. Vous, l’homme de « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural », l’homme du « Québec libre », vous deviez être l’homme de l’Afrique libre, pas celle de la misère et la corruption.

Si votre pensée était celle d’un visionnaire, votre action était celle d’un militaire que vous n’avez jamais cessé d’être tout au long de votre vie. Absence totale de sensibilité et de respect des minorités concernées, telles sont les caractéristiques que déplorent encore aujourd’hui les harkis et les pieds-noirs dans l’affaire algérienne. Vous avez « liquidé » la décolonisation comme un militaire arrête la guerre. Jusqu’à la dernière minute avant le cessez-le-feu, on mitraille encore pour ne pas perdre la face, puis on s’en retourne aussitôt dans les casernes sans se soucier du devenir des peuples écrasés et meurtris.

Votre cinquième République s’était pourtant donné bonne conscience en créant le Ministère de la Coopération, ce qui n’a pas empêché la plupart de vos anciennes colonies de s’orienter vers le marxisme en tournant le dos à la France, mais pas à ses crédits ! Le bilan est catastrophique, trente années sont à passer au compte des pertes et pas de profits. Mais, au fait, un général, ça sert à quoi d’autre, sinon à faire la guerre ou à instaurer des dictatures ?

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