.... Maurice, nous donna un magistral cours d’histoire, car nous les jeunots, nous en étions encore, selon le programme de l’éducation nationale, aux fornications de Cléopâtre et de César, quelque part dans la basse Egypte, entre Alexandrie (tiens, ça m’interpelle...) et le Caire.
- Autrefois, dit-il, on n’allait pas aux colonies pour la bronzette et le ti-punch sous les cocotiers, mais pour coloniser, dominer, asservir, piller l’or et le diamant et faire trimer des sous-hommes, des Mau-mau, des Zoulous et même des Arabes. C’était une expédition qui se préparait de longs mois à l’avance dans l’effervescence d’un changement radical de vie.
Nos concitoyens se faisaient nommer dans l’Administration coloniale ou embrassaient la carrière militaire. Avec tous les avantages des expatriés, bungalows, boys, nounous, chauffeurs et moustiquaires, vacances en métropole une fois l’an, à la Bourboule ou à Evian, dans les Alpes pour le bon air, à Vichy pour le foie et le reste.
- Maurice, toi qui connais tout ça, tu sais bien que pour faire fonctionner les colonies à la manière de la France, il fallait aussi des artisans, des commerçants, des paysans, des docteurs ?
- Bien sûr, Alex, tout ne s’est pas fait en un jour. Pour ne citer que l’Afrique, la France avait installé des comptoirs marchands, au 17ème et 18ème siècle, sur la route des Indes, celle des épices, au Sénégal, à Madagascar, à la Réunion, à Maurice. Dans ces régions, la France avait déjà posé ses grands pieds. Mais les autochtones ne nous avaient pas attendus pour faire fonctionner leur économie locale. Les souks, ça existait bien avant nous. Bien sûr que des milliers de Français, d’Italiens, d’Espagnols, de Maltais de toute condition et de toute profession se sont rués vers ces nouveaux Eldorados. En Afrique du Nord, on les appelait “les pieds noirs”.
La première des colonisations indignes de ce nom, c’est la prise d’Alger en 1830 par la Grande muette, celle qui fait parler la poudre, suivie d’une guerre contre Abd-el-Kader durant quinze ans pour asservir l’Algérie tout entière jusqu’à Tamanrasset.
Bernard nous colporta une information que nous ignorions mais qui nous concernait directement : “La Société des Missionnaires d’Afrique, les Pères Blancs, à été fondée à Alger en 1868.” Et il ajouta :
- C’est en partie grâce aux nombreuses congrégations de missionnaires, présentes dans les colonies, que la vie des peuples colonisés a été adoucie. Nous sommes là pour reprendre la relève dans quelques années !
- Tu as raison, lui répondis-je, il fallait bien donner le change aux colons, ces grands propriétaires terriens qui se sont installés pour le franc symbolique sur des superficies immenses où ils ont fait fructifier leurs comptes en banque, les agrumes, la vigne et les céréales qu’ils envoyaient au continent par bateau entier. La main-d’œuvre locale était corvéable à merci et payée au lance-pierre.
Et Maurice, de continuer :
- D’autres territoires, qui n’étaient pas encore des pays, sont tombés comme des mouches, sans qu’on ait tiré un coup de fusil. Il y eut des annexions comme la Nouvelle-Calédonie, des protectorats pour la Tunisie et le Maroc. Regardez la carte d’Afrique, dans sa partie supérieure, d’ouest en est: ces lignes toutes droites, les frontières, ont été tracées avec une règle d’écolier, sans tenir compte des tribus et des ethnies. A part la Chine et le Japon, il n’y a quasiment aucun pays du tiers ou du quart monde, auquel s’ajoute l’Amérique du Nord et du Sud, qui n’ait été envahi par les Européens.
Le livre :
https://blogs.mediapart.fr/edition/la-bibliotheque-numerique/article/020116/de-lesprit-la-chair