(Texte du 28 janvier publié le 29)
Il est vivement déconseillé de prononcer ces mots par bravade devant des camarades, l’un deux s’empressant de colporter votre saillie au poste le plus proche comme au temps de la collaboration. Aussitôt la flicaille se met en branle, votre portable et tous vos supports internet sont mis à l’écoute, surveillés et bloqués.
Dans l’heure qui suit, une armada de policiers cerne le campus, enfonce la porte de votre chambre, vous arrête, vous menotte et vous embarque en justice immédiate. Pendant ce temps-là votre habitat est mis à sac, on cherche des preuves. Inutile de vous défendre, vous êtes condamnés d’avance, entre six mois et cinq ans d’enfermement pour «apologie publique du terrorisme», le temps de passer au crible votre vie, vos relations, vos amours.
Un indice flagrant, vous n’étiez pas dans la rue, dimanche 11 janvier, à la suite de ces chefs d’Etat compromis et hypocrites dont certains, de retour au pays, notamment le roi Abdallah II de Jordanie qui a qualifié Charlie Hebdo d’«irresponsable et inconscient».
Et si par malheur, vous êtes allés en voyage d’étude organisé dans un pays arabe vous êtes d’entrée catalogué comme « terroriste dormant ». Votre seule chance de sortir de prison, vous êtes français depuis trois générations et Guantànamo n’a pas encore de succursale en France.
Depuis les tueries des 7 et 9 janvier, c’était mercredi, il y a trois semaines, la panique s’est emparée de la France à tous les niveaux. Les médias se sont rués sur cette boucherie innommable, laissant de côté d’autres crimes en Syrie, en Irak, au Nigéria faisant des victimes innocentes par centaines. Les experts et les philosophes se contredisent sur le pourquoi et le comment de ces massacres.
Paris touché en plein cœur, il fallait bien que l’État réagisse, reprenne la main, comme pour excuser les failles de ses services de renseignements. A l’initiative de François Hollande, un consensus s’est établi entre les partis durant quelques heures, le temps que remonte la côte de popularité du président. Où va la France dans cette chasse aux sorcières, cette justice expéditive - des dizaines de condamnations - qui bafoue les droits de l’homme ? Un écolier de 8 ans inquiété, blackboulé à Nice, la ville d’Estrosi et de la Stasi * !
Des millions de citoyens, toutes tendances confondues, se sont levés pour défiler dans les rues et dénoncer ces crimes atroces, la liberté de presse baignant dans le sang de ceux qui la défendaient. Mais étaient-ils tous sincères, ces gens-là, à pleurer Charlie, les juifs et les policiers victimes de leur devoir. Parmi cette foule immense, n’y avaient-ils pas des milliers d’islamophobes ayant saisi l’opportunité d’exprimer leur rejet de l’islam ?
*Article de Mediapart du 29 janvier 2015