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Billet de blog 30 décembre 2008

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Suite de la Conférence de Raymond MALLERIN

Professeur, Inspecteur d'académie

Des morales ( laïque,religieuse, humaniste…) ou une morale ?

I2- Rapports entre « morale laïque » et « morale religieuse » selon Nicolas Sarkozy.

C’est le moment donc de rapporter la phrase du discours de Latran qui a provoqué les plus vives réactions : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur…..même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ». Ces propos sur l’instituteur et le curé sont l’illustration pratique d’une déclaration figurant un peu plus haut dans le discours : « la morale laïque risque toujours de s’épuiser quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini…une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité ».

Avec ces deux phrases Sarkozy fait une distinction évidente entre morale laïque et morale religieuse et établit une hiérarchie entre les deux, la morale religieuse étant bien évidemment, à ses yeux, supérieure à la si fragile morale laïque. Face à la levée de boucliers entraînée par cette affirmation de la supériorité du curé sur l’instituteur — et comme il n’est pas à une contradiction près, Sarkozy a tenté de revoir sa copie, quelque temps après avec ces mots prononcés devant le CRIF : « Jamais je n’ai dit que la morale laïque était inférieure à la morale religieuse. Ma conviction est qu’elles se complètent….Et jamais je n’ai dit que l’instituteur était inférieur au curé, au rabbin ou à l’imam pour transmettre des valeurs….Mais ce dont ils témoignent n’est tout simplement pas la même chose. » En fait, il maintient toujours sa distinction entre deux morales, et même s’il atténue sa hiérarchisation , on sent bien que ses préférences vont fondamentalement à la morale religieuse.

Mais, indépendamment du problème de la hiérarchisation, arrêtons-nous un moment sur la distinction établie entre les deux morales pour nous demander si elle est intellectuellement valable. Sans doute, il fut un temps où l’expression morale laïque a été largement employée dans une acception que je qualifierais volontiers d’engagée, voire d’agressive. Ce fut à la fin du XIXe siècle et, surtout, au début du XXe, après la fameuse loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, alors que la plupart des autorités religieuses, qui s’estimaient spoliées, se lancèrent dans un vigoureux combat contre la loi et pour redonner à la religion — catholique essentiellement — la place, les positions et les privilèges dont elle bénéficiait avant la loi. Cet assaut religieux entraîna, en retour, un regroupement anticlérical qui brandit l’étendard de la morale laïque. Sous cette expression, on entendait une morale commune à tous qui pouvait se passer du « caté » et de toute référence religieuse et qui se traduisait en un certain nombre de préceptes devant permettre une vie harmonieuse en société. Ce fut la morale qu’on enseignait à l’Ecole, jusqu’en 1969, et qui donnait lieu à des leçons et à des résumés écrits au tableau et recopiés dans les cahiers. J’ouvre ici une petite parenthèse pour avouer que, contrairement à Xavier Darcos qui projette de revenir à cette pratique, la suppression de ces leçons de morale ne me laisse aucun regret, partageant à ce propos la pensée de Célestin Freinet : « La morale ne s’enseigne pas, elle se pratique. »

En fait la morale laïque,dans le climat de combat entre cléricaux et anticléricaux qui régnait alors, tendait à devenir la morale des laïques en opposition à la morale des croyants. Cette distinction fâcheuse, que reprend Nicolas Sarkozy, a correspondu à une époque. Mais les idées ayant beaucoup évolué, elle n’est absolument plus valable aujourd’hui.

Les choses en effet s’apaisèrent peu à peu dans la première moitié du XXe siècle. Dans la seconde partie, les transformations socioculturelles, les progrès techniques et scientifiques, le développement de la société de consommation, la complexification et l’individualisation de notre société se sont accompagnés de l’émergence d’une foule de problèmes moraux et éthiques qui ont, à mon avis, fait perdre tout son sens à la notion de « morale laïque ».

La laïcité est désormais reconnue par tous comme un concept institutionnel qui sépare la sphère publique de la sphère privée et la morale est plus que jamais ce qu’elle a toujours été : la tentative de définir le bien et le mal et la recherche des valeurs qui donnent un sens à la vie. Conception dans laquelle peuvent se retrouver croyants et incroyants.

Et c’est donc une quasi-absurdité que de parler aujourd’hui de morale laïque, surtout en l’opposant à la morale religieuse. Evoquer, à notre époque, cette distinction, c’est revenir à un passé révolu, c’est raviver de vieilles querelles, au risque de dresser une partie de la population —les laïques, faussement assimilés aux incroyants — à une autre, celle des adeptes de la morale religieuse —les croyants. Qui plus est, hiérarchiser ces deux morales comme l’a fait notre Président, en affirmant la supériorité de la religieuse sur la laïque, c’est prendre implicitement parti pour un camp contre l’autre, c’est donc mener, en ce domaine une politique rétrograde et réactionnaire qui bafoue la laïcité.

La notion de morale laïque, disions-nous n’a aujourd’hui aucun sens. Mais j’en dirais autant de l’expression morale religieuse, surtout employée au singulier. Je ne veux pas m’étendre sur ce sujet, car je respecte parfaitement les religions et ne voudrais surtout pas conforter l’opposition sarkozienne par des propos anticléricaux. Mais il est évident que l’expression de morale religieuse est pleine d’ambiguïtés et ouvre la porte à bien des embarras . Dans la seule religion chrétienne, par exemple, devra-t-on observer la loi du talion, telle que nous y invite l’Exode ( 21. 23/25) : « Si un homme provoque une infirmité chez un compatriote, on lui fera ce qu’il a fait , fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent… » ou devrons-nous écouter le Christ, à travers l’Evangile de Mathieu ( 5. 38/42) : « Vous avez appris qu’il a été dit œil pour œil, dent pour dent. Et moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre… ». A ces contradictions internes à une religion s’ajoutent les contradictions sur de nombreux points ( rites, rôle de la femme, autorité parentale…) entre les diverses religions, christianisme, islam, judaïsme, bouddhisme… Si grande que soit la volonté d’œcuménisme, c’est un véritable abus de parler de morale religieuse au singulier .

Cette schématisation de l’emploi des qualificatifs ségrégatifs avait déjà été remarquablement dénoncée, dès 1881, par Jules Ferry qui, lors d’une séance du Sénat avait lancé cette phrase : « La vraie morale, la grande morale, c’est la morale sans épithète. ».

Mais l’emploi de ces formules choquantes, sciemment utilisées par notre Président à des fins politiques, pose cependant des questions philosophiques, liées au problème de l’origine et du fondement de la Morale. Pour Sarkozy et son entourage ( Emmanuelle Mignon, la plume de Sarkozy, Claude Guéant, le Père Verdin…), la morale est issue de la religion. C’est ce qui apparaît nettement dans un passage du discours de Riyad : « Ce sont les religions, malgré tous les forfaits qui ont été perpétrés en son nom, tout de même ! qui nous ont, les premières, appris les principes de la morale universelle, l’idée universelle de la dignité humaine, de la liberté et de la responsabilité, de l’honnêteté et de la droiture. »

Pour d’autres, c’est, au contraire, la religion qui est issue de la morale. Je ne citerai, pour illustrer cette thèse qu’une phrase, prononcée très récemment par Axel Kahn au cours d’une interview donnée à Paris Match : « Le bien recouvre tout ce qui manifeste le souci de l’autre, le mal tout ce qui nie la valeur d’autrui, la foule aux pieds…La morale judéo-chrétienne s’est saisie de cette base universelle de la morale, elle ne l’a pas créée. »

Avec cette opposition, entrons dans la question proprement philosophique de la définition du concept et du fondement de la morale

( à suivre...)

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