Depuis quarante ans, la France réforme l’immigration comme on repeint un mur qui s’écroule : frénétiquement, bruyamment, inutilement. Vingt-huit lois, des pactes européens, des discours martiaux à chaque coin de quinquennat – et pourtant, à l’échelle planétaire, la migration reste marginale, stable et parfaitement prévisible. 3,6 % de la population mondiale bouge, pendant que les 96,4 % restants se terrent là où ils sont nés, avec ou sans espoir. Mais chut, ne dites pas ça à TF1, ils risqueraient d’avoir du mal à vendre leurs peurs empaquetées en prime time.
Le migrant est un bouc émissaire pratique. Il parle peu, il vote rarement, et surtout il fait un merveilleux bruit de fond pour couvrir les vraies catastrophes sociales. L’immigration est le cache-misère idéal d’une politique économique en ruine. Le pouvoir d’achat s’effondre ? L’hôpital se délite ? La retraite fond comme la banquise ? Vite, une petite séquence sur les “flux incontrôlés” de migrants, quelques images de naufrages, une analyse soporifique de Dominique Seux, et le tour est joué.
Et pendant qu’on gesticule sur le fantasme d’invasions, la réalité travaille en silence. Les migrants construisent les stades, soignent les vieux, programment nos logiciels, et permettent même, comble de l’ironie, de maintenir à flot les régimes de retraite que l'on prétend condamnés… à cause d’eux. Plus de migrants dans l’économie, c’est moins de pénurie, moins de déficit, et plus de prospérité. Mais ça, on le cache derrière une double page sur “le coût de l’immigration”.
Le plus beau ? Ce sont les pays les plus riches, les plus vieillissants, qui mendient aujourd’hui une immigration de travail, comme un alcoolique quémandant son verre de trop. L’OCDE l’avoue à demi-mot : sans jeunes bras étrangers, plus d’industrie stratégique, plus d’économie verte, plus d’innovation. Mais dans le même souffle, on signe des lois absurdes pour les empêcher d’entrer, sauf s’ils ont un doctorat et la politesse de venir en cravate.
La migration, cette vieille compagne de l’espèce humaine, devient un fantasme d’extrême droite recyclé par les centristes en quête de suffrages et par les éditorialistes en manque de frissons. On brandit la frontière comme une digue morale, alors qu’elle ne filtre plus que les pauvres. Les riches, eux, migrent en jet privé et fiscalité optimisée, bienvenus partout et suspects nulle part.
Et puis il y a le grand hold-up sémantique. On parle de flux, de vagues, de pression migratoire… comme si les humains étaient des torrents, des invasions barbares, des coulées de boue menaçant notre précieuse “identité”. Jamais de vies, de familles, de boulots, de rêves – que des chiffres, des fantasmes, des murs.
Mais au fond, c’est simple. Organiser les flux migratoires ? Les États savent parfaitement le faire pour les tomates, les containers, le lithium. Pourquoi pas pour les êtres humains ? Parce qu’un pauvre reste plus utile mort en Méditerranée que vivant à Montluçon. C’est un épouvantail efficace. Et un cadavre, ça ne revendique pas le SMIC.
* Inspiré de l’ article d’ Alexandra Buste, Xavier Lalbin • 01/09/2024 • Elucid