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Billet de blog 2 juin 2025

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« Illibéralisme », ce mot qui tue le mot qui tue

Quand le fascisme porte cravate et sourit à la démocratie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a des vérités qui, semble-t-il, doivent s’annoncer avec un carton d’invitation et un service de presse validé avant qu’on daigne les reconnaître. Quand des milices patrouillent dans Paris en hurlant « Paris est nazi » tout en plantant des militants, on pourrait se dire que, peut-être, nous avons un problème. Mais non. On attend encore.

Il faudra sans doute les croix gammées en néons clignotants sur les bâtiments publics pour que la machine à euphémismes cale enfin et concède un « bon, d’accord, c’est peut-être un peu fascisant ». D’ici là, on parlera d’« illibéralisme » — un mot savant pour dire qu’on a peur des mots. Après tout, certains en sont encore, quatre-vingts ans plus tard, à expliquer que la France n’a jamais vraiment été fasciste. La collaboration ? Un petit malentendu. Vichy ? Un moment d’égarement administratif. À ce rythme-là, il faudra peut-être attendre que la Place de la Concorde soit rebaptisée Place Mussolini avant d’oser appeler un chat un chat.

Les intellectuels et leur goût du flou

Mais attention, ce n’est pas seulement la presse bien peignée qui rechigne. Même à gauche, on est gêné. Crier au fascisme, c’est prendre le risque d’un front républicain bric-à-brac, de paniques électorales, de masses qui s’affolent dans la mauvaise direction. Alors on sort la grosse artillerie des mots compliqués. « Bonapartisme », « césarisme », « État autoritaire » – surtout pas fascisme. C’est plus chic, plus prudent, et ça évite d’avoir à faire quelque chose.

Pourtant, il y a des seuils qu’on ne franchit pas impunément. Quand un État normalise l’idée de la déportation, quand il met son appareil répressif au service d’une obsession raciale, on n’est plus simplement dans l’autoritarisme. On est sur la pente fatale. Les États-Unis de Trump ont déjà balisé le chemin, et la France de Le Pen-Retailleau regarde l’itinéraire avec envie. L’alliance du charter et de la tronçonneuse, voilà l’avenir.

L’illusion du « vrai » fascisme

Mais certains veulent encore des preuves plus évidentes. Des uniformes, des défilés martiaux, un bel oriflamme, quelque chose de bien reconnaissable. Comme si le fascisme n’avait qu’une seule et unique forme, figée dans le temps, immuable depuis les années 30.

C’est oublier qu’Orwell avait déjà prévenu : le fascisme ne revient jamais sous la forme attendue. Il peut porter un chapeau melon, un costume trois-pièces ou une casquette rouge MAGA. Il peut ressembler à un banal homme d’affaires, un chroniqueur bien mis, un président au sourire crispé.

Le problème, c’est que tant que nous resterons figés dans l’attente du « vrai » fascisme – celui avec les bottes cirées et les discours hurlés au balcon – nous ne verrons pas celui qui est déjà là. Celui qui avance sous d’autres atours, plus feutrés, plus insidieux.

La recette du fascisme moderne

Ne cherchons plus le fascisme dans les vieilles archives ou les uniformes d’un autre siècle. Il n’a plus besoin du noir et blanc, ni des grandes marches synchronisées. En 2025, il avance en costume ajusté, au nom de la République, de la sécurité, de l’identité, du bon sens. Pour le reconnaître, il ne faut pas scruter la façade, mais comprendre l’architecture.

D’abord, il y a l’État autoritaire, qui n’a même plus besoin de frapper fort pour faire peur. Il suffit de filtrer les idées, de purger les institutions culturelles et médiatiques au nom de la lutte contre le "wokisme", ce mot-valise devenu marteau idéologique. La critique devient suspecte, la pensée judiciaire, et les forces de l’ordre s’arrogent un pouvoir moral. Derrière les tribunaux et les plateaux télé, rôdent des milices en costume civil, prêtes à faire le sale boulot, pendant que la police et la justice regardent ailleurs — ou applaudissent.

Ensuite, vient l’instrumentalisation de la misère sociale. Ici, le cynisme est roi. On prend la colère légitime des dominés, et on la recycle contre d’autres dominés. Plus besoin d’expliquer la casse sociale, les inégalités ou la précarité : on pointe du doigt les migrants, les musulmans, les assistés, les gauchistes, les profs, les artistes. Une haine à bas coût, en libre-service, toujours prête à l’emploi.

Enfin, la vision apocalyptique du monde. Le fascisme aime les mots définitifs. Le mot fétiche, aujourd’hui, c’est "existentiel". Dès qu’un enjeu devient une "menace existentielle", toutes les violences deviennent possibles, acceptables, nécessaires. Couler des bateaux de migrants ? Pour sauver la civilisation. Bombarder des civils ? Pour défendre la démocratie. Envoyer des troupes à l’Est ? Pour la survie de l’Occident.

Voilà le vrai visage du fascisme contemporain : rationnel dans la forme, délirant dans le fond, et plus dangereux que jamais parce qu’il se croit, sincèrement, du bon côté de l’Histoire.

Le piège du déni

Nous y sommes. Tout est en place. Le pouvoir et ses alliés médiatiques ont déjà choisi leur combat. Le racisme anti-arabe est devenu une norme admise. Le macronisme a fait office de sas de décontamination pour l’extrême droite, qui n’a plus qu’à ramasser la mise. LFI est diabolisée, le RN est républicanisé, et aux États-Unis, tout ce qui est à gauche de Trump est suspecté de communisme. Mais on continue de faire semblant. On hésite. On se rassure en parlant de « tensions démocratiques » ou de « crise politique », en feignant de croire que tout cela est encore réversible. Comme si l’histoire n’avait pas déjà montré ce qu’il se passe quand on attend trop. Alors, quand viendra l’heure des rétrospectives larmoyantes, des « nous n’avons pas vu venir », souvenons-nous d’une chose : On l’a vu venir. On l’a vu, on l’a su, et on a préféré se taire.

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