L’obésité, ce mal du siècle à gros ventre, n’est pas seulement une affaire de fourchette trop active ou de canapé trop accueillant. C’est une pathologie sociale, un effet secondaire de la mondialisation consumériste, comme les délocalisations ou les influenceurs. Dès les années 1980, la graisse s’est mise à pousser plus vite que le PIB, surtout aux États-Unis, épicentre de la pandémie calorique. Dans les années 1990, l’OMS brandit le mot qui fait peur : « épidémie ». Pas de virus, pas de bactéries. Juste un monde qui tourne à la malbouffe et au marketing.
Le décor ? Une planète gavée de calories vides, où les plats préparés et les sodas ont remplacé les soupes maison et les légumes moches. Résultat : 13 % d’obèses et près de 40 % de surpoids dans le monde. Et comme souvent, les premiers touchés sont les plus pauvres. Pas parce qu’ils « mangent mal », mais parce qu’on leur sert ce qu’il y a de moins cher et de plus rentable : du sucre, du gras, du sel, emballés dans du storytelling.
Aux États-Unis, pays du burger-roi, on a inventé les « déserts alimentaires » : des quartiers où les supermarchés se font rares, mais où les fast-foods pullulent. À deux pas des écoles, des distributeurs automatiques proposent une éducation au soda dès le plus jeune âge. Et dans les quartiers noirs, c’est festival : deux fois plus de junk food que dans les quartiers blancs. L’obésité est aussi raciale que sociale.
Mais attention, pas de raccourcis faciles : ce n’est pas parce qu’il y a un McDo au coin de la rue qu’on devient obèse. Il y a aussi la forme du quartier, les transports disponibles, le goût pour la cuisine, les normes culturelles, l’envie – ou non – de se mettre aux fourneaux. Et surtout, il y a le rouleau compresseur du marketing alimentaire. Une machine de guerre qui, pour quelques millions, vous vend du rêve en pot de pâte à tartiner. Les enfants ? Cibles privilégiées. Télé, jeux vidéo, réseaux sociaux : la junk food est partout. Et ce ne sont pas les messages sanitaires façon « Pour votre santé, bougez plus » qui vont y changer quoi que ce soit.
Les États, eux, tergiversent. Le Nutri-Score en France ? Facile à comprendre, donc suspect. L’étiquetage clair et obligatoire ? Trop risqué pour les lobbies. La régulation de la pub ? Une plaisanterie. On taxe un peu les sodas, histoire de donner l’illusion d’agir, mais on continue à subventionner les productions agricoles qui nourrissent la malbouffe. Aux États-Unis, on subventionne le maïs (pour faire du sirop) et le soja (pour faire de l’huile), pendant que le prix des légumes flambe.
Mais l’obésité ne s’explique pas seulement par l’environnement économique. Elle se nourrit aussi d’un capital culturel inégalement réparti. Le légume, chez les plus pauvres, a mauvaise presse : il coûte cher, ne cale pas et fait pauvre. Le sucre et la graisse, eux, sont la revanche du placard vide sur la misère symbolique. Quant aux normes corporelles, elles varient selon les classes : la minceur est un privilège bourgeois, une discipline sociale comme une autre.
En somme, si l’on veut vraiment lutter contre l’obésité, il va falloir revoir toute la partition. Urbanisme, fiscalité, publicité, éducation, production agricole : tout est à repenser. Mais tant que le gras fera vendre et que la politique se fera avec les tripes des lobbys, on continuera de produire des générations entières de corps lourds, pesants et culpabilisés, élevés dans les marécages de la modernité marchande.
Billet de blog 3 avril 2025
Big Mac, Big Pharma, Big Problème
Le gras du capital : anatomie d’une épidémie rentable
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