Voilà la vérité : nous ne nous adapterons pas.
Pas assez, pas à temps, pas comme il faudrait.
On nous vend l’adaptation comme un slogan de pub, une pommade magique pour faire oublier que la maison brûle — alors qu’on a nous-mêmes arrosé l’essence.
Arthur Keller a le mérite de le dire franchement : nous sommes Kodak.
Pas l’entreprise innovante : la carcasse aveuglée qui n’a rien vu venir.
Nous sommes l’équivalent civilisationnel d’un géant myope qui s’obstine à mettre des pansements sur une hémorragie. La planète se délite et l’humanité répond :
« Est-ce qu’on peut mettre le mode sombre dans l’application ? »
L’adaptation ? Une blague. Un soporifique. Un mensonge confortable.
Chaque fois que le réel cogne, nos dirigeants agitent trois mantras :
— « On va s’adapter. »
— « On va atténuer. »
— « On va transformer. »
S’adapter ? À quoi, exactement ?
À la fin des cycles hydriques ?
À l’effondrement de la biodiversité ?
À des migrations massives ?
À des infrastructures qui fondent l’été et gèlent l’hiver ?
À des États devenus des services après-vente du chaos ?
Mais surtout : avec quel système politique ?
Une démocratie addictionnée à TikTok ?
Un espace public devenu casino algorithmique ?
Une classe dirigeante qui panique si un hashtag dépasse 48 heures ?
L’adaptation exige de la vision. Nous avons des influenceurs.
Le verrouillage : notre maladie mortelle
On ne change plus rien. On ne peut plus changer.
Chaque institution s’est figée dans une sorte de tartufferie procédurale :
– si on agit, on perd des financements ;
– si on parle, on se fait insulter ;
– si on propose, on se fait abattre politiquement.
Pendant ce temps, les milliardaires se rêvent en colons de Mars, les classes moyennes révisent les prix des pâtes,
les pauvres crèvent en silence, et les gouvernements attendent un miracle — comme Kodak a attendu le retour de la pellicule.
Le miracle n’est jamais venu.
Le climat non plus.
Le point de rupture : cette chose dont personne ne veut prononcer le nom
Keller le répète : tout système finit par casser.
C’est la seule loi universelle.
Nous ne vivrons pas un effondrement hollywoodien, mais un basculement.
Un moment où tout ce qui était stable devient friable.
Où les filets craquent.
Où les institutions cessent d’amortir.
Où la société passe en « mode survie » sans même s’en rendre compte.
Ce moment arrivera. Parce que la physique est têtue, parce que les climatologues ne sont pas des scénaristes,
parce que les courbes ne négocient pas.
Alors on parlera beaucoup moins d’« adaptation ». On parlera d’eau potable, de nourriture, de tensions, de sécurité de ruptures, de territoires perdus, de communautés effondrées. Enfin bref, de choses très anciennes que nos ancêtres connaissaient et que nous avons oubliées : la vraie vulnérabilité.
Le canot de sauvetage : la seule idée sensée que l’on refuse d’avoir
L’humanité a deux obsessions :
1. croire qu’elle peut tout anticiper ;
2. refuser de préparer l’inévitable.
Nous avons un Titanic planétaire qui commence à pencher, mais nos dirigeants s’obstinent à repeindre les cabines VIP en vert. Personne ne parle du canot de sauvetage — ce mot tabou qui signifierait que oui, peut-être, nous allons échouer.
Ce serait reconnaître que notre modèle est une impasse. Insupportable pour les technocrates qui vivent dans des tableaux Excel, et pour les citoyens qui vivent dans des illusions subventionnées. Pourtant, seul un fou refuserait de vérifier les issues de secours quand l’avion traverse un orage.
Nous sommes ce fou.La catastrophe n’est pas devant nous, elle est déjà là — c’est notre déni qui l’alimente
Le vrai drame n’est pas que nous n’ayons plus le temps. Le vrai drame, c’est que nous ne voulons pas du temps qu’il nous reste.
Nous voudrions croire que tout continuera, doucement, comme avant :
– un peu plus chaud,
– un peu plus violent,
– un peu plus stressant,
mais tout de même gérable.
C’est faux.
L’avenir sera brutal.
L’avenir sera discontinu.
L’avenir sera un test de maturité que nous sommes en train de rater magistralement.
Alors oui : nous n’allons pas nous adapter assez. Nous allons nous débattre, nous cogner, nous tromper, tomber, recommencer. La question n’est plus : « allons-nous éviter la rupture ? » La question est : qui prépare encore son canot, et qui continue de danser sur le pont ?
Parce que le navire ne coule pas demain. Il coule maintenant.
Et ce foutu orchestre joue encore.
Billet de blog 5 décembre 2025
Nous n’allons pas nous adapter . Le pire, c’est qu’on fait semblant de l’ignorer.
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