« La dette publique enfle chaque année, et si nous ne faisons rien, nos enfants paieront pour nos turpitudes », nous répètent les sermonneurs de Bercy, l’œil mouillé et la voix tremblante comme des curés de province annonçant l’enfer aux enfants de chœur. On connaît la musique : culpabilité, remords, contrition… L’État serait un mauvais père de famille, dispendieux, irresponsable, obligé de punir ses enfants pour ses propres fautes. Il fallait donc, ô sacrilège, rappeler ce que les technocrates s’évertuent à faire oublier : la dette n’est pas un dérapage, c’est un hold-up.
Car figurez-vous qu’avant 1973, l’État français avait encore ce vieux privilège monarchique de battre monnaie – de créer de quoi financer ses politiques sans demander la permission. Mais cette année-là, dans un élan suicidaire de modernité, il a décidé de se faire banquier sans coffre, mendiant auprès des marchés ce qu’il pouvait autrefois produire souverainement. Finie la Banque de France créant de l’argent pour l’État, place aux banques privées qui, elles, n’ont pas renoncé à la planche à billets – mais, bien entendu, contre intérêts, avec la bénédiction des traités européens.
Depuis, chaque euro emprunté est lesté d’une chaîne, et chaque intérêt versé vient engraisser les créanciers institutionnels – assurances, banques, fonds – qui vivent de notre dette comme les parasites d’un corps bien nourri. La dette n’est pas intergénérationnelle, elle est interclassiste : ce ne sont pas nos enfants qui paieront, ce sont nos classes populaires, nos salariés, nos contribuables, ceux qui n’ont ni hedge fund ni avocat fiscaliste. Le transfert est clair : les pauvres paient les rentes des riches, au nom d’une rigueur budgétaire qui n’est que la politesse de l’exploitation.