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Billet de blog 10 mai 2025

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Cosa Nostra Inc. : l’économie a ses raisons que la morale ignore*

Derrière les chiffres du CAC 40, l’odeur du cuir fauve et de la poudre sèche.

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Le capitalisme n’imite plus la mafia, il est la mafia. Voilà l’intuition de Roberto Saviano*, pas vraiment un utopiste, mais un habitué des menaces de mort. Ce qu’il énonce n’est plus une provocation : c’est une radiographie. Le capitalisme libéral a troqué son vieux masque d’Adam Smith pour celui du Parrain. Il ne cherche plus la régulation mais la capture, pas la concurrence mais le monopole, pas la légalité mais l'opacité. Il agit dans les marges, prospère dans les trous noirs comptables, flirte avec le hors-la-loi… et finit par s’y marier. À Las Vegas, bien sûr.

On croyait que l’économie de marché et l’État de droit éloignaient la violence. Grave erreur de scénario. Ce sont des décors, des façades de carton-pâte pour touristes naïfs. Le capitalisme, dans son essence même, repose sur la captation des flux de richesses — et peu importe si c’est par la menace, la corruption ou la fraude fiscale. Braudel l’avait vu : le vrai capitalisme est un contre-marché, un Far West blanchi à la chaux du droit. La mafia, loin d’être une anomalie, en est le miroir : même rationalité froide, même obsession du profit, même mépris des règles communes. Le mafieux, entrepreneur modèle. L’entrepreneur, mafieux stylé.

Christian Chavagneux l’illustre : 10 000 milliards de dollars flottent dans les limbes comptables, enfants bâtards de la finance offshore. Des milliards sans père ni loi, qui échappent aux impôts, aux États, aux peuples. On croyait les flux mondiaux surveillés, traçables ? Erreur. Le capitalisme contemporain est un fantôme fiscal. Un siphon à rentes qui vide les caisses publiques pour remplir celles des oligarques.

Et l’État dans tout ça ? Un complice. Depuis Hilferding jusqu'à Trump, l'État s’est mis au service du capital monopoliste. La cartellisation, le protectionnisme, la captation des rentes, la destruction de toute alternative : c’est l’économie politique du gang. L’économie criminelle n’est plus l’envers du décor, c’est la pièce centrale. Trump gèle les lois anticorruption ? C’est l’équivalent législatif d’une valise de billets dans un coffre de voiture. La Maison-Blanche est devenue un repaire de broligarques, entre mafia numérique et néoféodalisme fiscal.

Même la mozzarella sent le soufre. Le crime ne se cache plus, il s’industrialise. Agriculture, BTP, tech, finance : tous les secteurs sont contaminés. La mafia a des chaînes logistiques, des filiales, des start-up, des fonds d’investissement. Le capitalisme mafieux est un business model. Il ne tue pas la concurrence, il l’achète. Il ne transgresse pas les règles, il les réécrit.

Et pendant que les classes moyennes crèvent, les géants de la Tech dictent les lois. Meta rachète tout ce qui bouge. Les États libéralisent jusqu'à l’indécence. La précarité devient un effet secondaire du progrès, les licenciements sont des dividendes en puissance, la corruption une stratégie d’influence. Le tout validé par des gouvernements en costume trois-pièces.

La logique mafieuse s’étend : dans les paradis fiscaux, dans les plans sociaux, dans la dérégulation du travail. Et désormais dans la démocratie elle-même. Le capitalisme ne veut plus seulement le pouvoir économique, il veut aussi l’appareil d’État. Pas pour le réformer, mais pour s’en servir comme d’un bras armé. La démocratie devient un alibi, les urnes une franchise, les lois un obstacle.

Trump, parrain républicain, veut venger ses procès, soumettre les juges, contrôler le FBI. Ce n’est plus une présidence, c’est une vendetta. Elon Musk devient le consigliere. La Maison-Blanche est un bunker. Washington, une succursale de Cosa Nostra version GAFAM. Le capitalisme est devenu un gang légal avec ses comptables, ses hackers, ses armées de lobbyistes.

Et le peuple ? Il regarde Netflix, se fait livrer sa pizza mafieuse à la mozzarella frelatée, vote contre lui-même ou ne vote plus du tout. Pendant ce temps, l’oligarchie tisse sa toile. La mafiaïsation du monde est en marche, et elle porte cravate. Le futur n’est plus néolibéral, il est néomafieux. Et il a le goût amer d’une mozzarella à la poudre de lait et au sang de la plèbe.

*Inspiré de l’article de Frédéric Farah « Le Capitalisme est devenu mafieux » (Elucid)

**Roberto Saviano, né le 22 septembre 1979 à Naples, est un écrivain et journaliste italien. Il est connu pour avoir décrit et dénoncé les milieux mafieux dans ses écrits et articles, en particulier dans son livre Gomorra (2006), qui met à nu le milieu de la Camorra.

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