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Billet de blog 14 juin 2025

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La retraite par capitalisation ou la roulette russe financière

Double cotisation, double illusion

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La capitalisation, ce merveilleux tour de prestidigitation financière que les libéraux nous vendent comme une potion magique pour sauver nos retraites. À les entendre, investir nos vieux jours sur la roulette russe de la Bourse serait devenu l'avenir radieux de l’humanité laborieuse. Pourtant, derrière cette prétendue modernité, le tableau est plutôt noir : ruines périodiques, crises à répétition, angoisses chroniques des retraités américains dépouillés par la crise des subprimes. Mais cela, les adeptes de la financiarisation forcée préfèrent le taire.

Prenez Édouard Philippe, sabre au clair, autoproclamé réformateur de choc, agitant comme un mantra cette idée géniale : remplacer la bonne vieille répartition par une dose obligatoire de capitalisation, fixée arbitrairement à 15 %. Bien sûr, personne ne précise vraiment qui paiera cette audacieuse innovation — entreprises, salariés, contribuables, la dette peut-être ? Peu importe, tant qu’on soumet enfin les Français à la rigueur morale des marchés financiers.

Car soyons sérieux : la capitalisation ne change rien à la réalité fondamentale. Ce sont toujours les travailleurs actifs qui paient pour les retraités d’aujourd’hui, peu importe que cela passe par les caisses de retraites ou par les fonds spéculatifs. Keynes l’avait déjà dit : « Tout capital doit être porté ». Autrement dit, votre retraite n’est jamais financée par vous-même, mais toujours par les générations suivantes, exactement comme la répartition. La seule différence, c’est que dans un système par capitalisation, on joue au casino avec nos économies.

La prétendue supériorité des rendements financiers à long terme relève d’un optimisme digne d’un joueur compulsif : entre deux périodes de croissance, combien de faillites, de paniques boursières, de retraités ruinés ? Et surtout, qui peut capitaliser ? Les riches, évidemment, ceux qui disposent déjà de revenus suffisamment confortables pour parier sur l'avenir. Pendant ce temps, les classes moyennes et populaires regardent passer le train des inégalités, condamnées à subir plutôt qu’à investir.

Mais même économiquement, cette lubie de la capitalisation obligatoire frise le délire. Terra Nova, pourtant peu suspect de radicalisme économique, a calculé que l’introduction d’un tel système coûterait vingt milliards d’euros supplémentaires par an, pendant près d'un siècle ! Les actifs seraient ainsi condamnés à payer deux fois : une fois pour les retraités actuels, une autre fois pour espérer se constituer une épargne, soumise aux aléas des marchés financiers. Et tout ça pour quoi ? Pour atteindre péniblement 10 à 15 % de pensions par capitalisation d’ici plusieurs décennies. Un beau gâchis d’argent public et privé.

Eric Weil, dans un élan de lucidité rare chez un ancien conseiller ministériel, propose donc une solution raisonnable : généraliser les dispositifs volontaires existants, tout en régulant sévèrement les frais de gestion. Ah, l’ironie suprême ! Un État prié de venir à la rescousse pour modérer les excès d’un marché censé le remplacer.

En somme, cette obsession pour la capitalisation n’est rien d’autre qu’une vaste entreprise idéologique. L’objectif ? Transformer chaque citoyen en petit boursicoteur stressé, soucieux des variations quotidiennes des indices financiers. Sous couvert d’innovation, ce n’est que le retour en force de l’éternelle idéologie du chacun pour soi, subtilement maquillée en progrès économique. Une farce tragique dont les victimes, une fois de plus, seront les retraités eux-mêmes.

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