“Gouverner le climat”, c’est devenu le plus grand numéro de prestidigitation contemporain : on montre du sérieux, on cache le désastre, on parle d’avenir, on négocie du vent. En lisant Jean Foyer*, j’ai parfois l’impression d’observer un congrès de somnambules qui se félicitent d’avoir avancé d’un centimètre alors que le plancher brûle sous leurs pieds et que les murs s’effondrent derrière eux. L’immeuble s’écroule, eux discutent du style des rampes d’escalier. Aucun doute : ils se pensent architectes, ils sont en réalité les décorateurs d'un Titanic déjà coulé.
On nous répète que la lutte climatique est “le défi du siècle”. Sauf que ce défi, on l’a transformé en festival de faux-semblants. On parle de “transition”, “engagement”, “action globale”. Ces mots ont l’odeur d’un parfum sans alcool : rien ne tient, rien ne marque, tout s’évapore. On confond communication et politique, morale individuelle et choix structurel. Il suffirait presque d’un slogan bien placé pour faire baisser les températures. On remplace les décisions par des éco-gestes, comme si recycler une bouteille pouvait compenser l’aveuglement industriel qui alimente la catastrophe.
Foyer décrit ce monde institutionnel avec une précision chirurgicale : une bulle hors-sol où tout le monde joue à la coopération internationale comme des enfants jouent au Monopoly. On s’écoute, on s’applaudit, on se regarde droit dans les yeux en jurant qu’on changera demain. Le climat, lui, ne fait pas semblant, mais il a la décence de ne pas déranger les diplomates : il se contente de réagir pendant qu’ils récitent leur liturgie multilatérale.
Un “schisme avec le réel” ? Le mot est poli. C’est une rupture consommée.
Les diplomates vivent dans un décor en carton recyclé où l’on signe des pactes creux qu’on présente comme historiques. Ils posent avec leur signature comme des acteurs avec leur statuette. On ferait presque un musée de cette imposture : “La galerie du texte vide”, entrée gratuite, climatisation offerte.
Puis il y a la ferveur technologique. Une religion moderne. La croyance miraculeuse qu’un jour, une machine avalera tout le CO₂ comme un aspirateur cosmique. Une foi digne des cultes millénaristes. On remplace la critique du modèle par l’espoir qu’il se sauvera lui-même, comme un alcoolique attendant que l’alcool cesse spontanément de nuire.
La lenteur des COP relève d’un comique noir. On voit des négociateurs avancer à un rythme qui ferait passer un escargot sous Xanax pour un champion olympique. Pendant ce temps, les émissions montent comme un thermomètre posé dans un four. On produit des déclarations creuses pour justifier l’inertie, et on appelle ça du progrès. C’est de la diplomatie sur cendres chaudes.
Le plus splendide dans cet opéra-bouffe, c’est que tout le monde sait. On connaît les causes. On connaît les leviers. On connaît les responsables. Mais cette connaissance ne sert qu’à alimenter de nouveaux rapports, de nouvelles conférences, de nouvelles justifications. À croire que l’inaction est devenue un plan stratégique : plus rien ne bouge, mais tout s’écrit, tout se raconte, tout se met en scène.
Jean Foyer a la lucidité de dire que le problème n’est pas seulement politique, mais psychique. Une incapacité profonde à toucher au modèle économique qui organise notre dépendance. Une immobilité soigneusement emballée dans un discours réformateur. Une paralysie décorée de bonnes intentions.
On pourrait parler de peur, mais ce n’est même plus ça : c’est une lâcheté en costume, une panique maquillée en expertise, une fuite qui ne dit pas son nom. L’idée même de renoncer à la croissance continue suffit à provoquer une sorte de crise d’urticaire diplomatique.
C’est à crever de rire : Les gouvernements jouent à sauver le monde comme on joue à cache-cache,
les institutions maquillent la catastrophe avec des phrases creuses, et chacun repart persuadé d’avoir fait sa part.
Pendant ce temps, la planète chauffe, indifférente à notre théâtre.
Et l’humanité, assise dans la salle, applaudit encore entre deux canicules.
* Jean Foyer Schismes avec le réel et autres névroses : discussion de l’ouvrage « Gouverner le climat ?» de Stefan Aykut et Amy Dahan