L’argent magique existe, mais il porte un treillis et un fusil.
Ah, cette phrase magique, incantée jusqu’à la nausée par les technocrates de Bercy et les chantres de la rigueur budgétaire : « Il n’y a pas d’argent magique. » Sauf quand les banques s’effondrent, sauf quand Big Pharma réclame son dû, sauf quand les canons tonnent et que l’OTAN grogne. L’argent magique, c’est comme le monstre du Loch Ness : introuvable pour l’école, les hôpitaux ou les retraites, mais il réapparaît toujours à la surface pour sauver les actionnaires ou remplir les arsenaux.
800 milliards d’euros pour la guerre. Pas un centime pour la paix.
Voilà donc Ursula von der Leyen, nouvelle Pallas Athéna en tailleur Chanel, qui surgit sur la scène européenne avec son « ReArm Europe » : un bazooka budgétaire de 800 milliards d’euros pour transformer le Vieux Continent en camp retranché. Pas de débat, pas d’accord de l’OTAN, pas même un vote digne de ce nom. Juste une grande messe à Bruxelles pour réenchanter la dette, invoquer l’ennemi russe, et exhumer le cadavre encore tiède de la souveraineté budgétaire. Et tant pis si la France n’a plus un sou, si l’inflation galope, si la BCE a rangé son imprimante monétaire au placard. Quand il s’agit de réarmer l’Europe, tous les interdits fondent comme neige au soleil : déficit ? balayé. Règles de Maastricht ? piétinées. Souveraineté nationale ? dissoute dans l’acide fédéraliste. L’argent coule à flots. Magique, on vous dit.
L’armée, nouvelle prêtresse de la croissance.
Les vieux mantras néolibéraux sont recyclés dans un enrobage kaki. Endettement massif ? Pas grave, c’est bon pour la croissance. Dépenses publiques ? Formidable, tant qu’elles financent des missiles. On nous jure la main sur le cœur qu’une pluie de contrats d’armement va faire bourgeonner l’emploi, remplir les caisses publiques, et relancer l’industrie. Comme si canonner le monde allait verdir les bilans. Les marchés ne s’y trompent pas. Dassault, Thalès, Rheinmetall, et les autres chantres de la mort technologique dansent déjà la gigue boursière. Le CAC 40 n’a jamais été aussi martial. À croire que la guerre est devenue le seul projet industriel cohérent de l’Europe.
Macron, de la natalité à la guerre.
Souvenez-vous : hier encore, Jupiter nous enjoignait à repeupler la France comme on repeuple une forêt sinistrée, au nom d’un réarmement démographique. Un flop monumental. Aujourd’hui, il déterre l’arme atomique de la peur : Poutine arrive. Le virus, l’infertilité, les gilets jaunes n’ont pas suffi à fédérer ? Qu’à cela ne tienne : la guerre, la vraie, celle qui fait trembler les marchés et bander les généraux, fera l’affaire. Le chantage est grossier : qui refuserait de défendre l’Europe contre l’Ogre slave ? Mais la ficelle est usée. Tout cela n’est qu’un écran de fumée, un tour de passe-passe comptable pour faire passer 800 milliards d’euros de dettes sous le tapis des principes.
La dette, opium des élites.
Cette fois, ce ne sera pas la BCE qui créera la monnaie à la pelle : ce sera l’endettement pur et dur, celui que les agences de notation adorent facturer à prix d’or. Les États vont s’endetter jusqu’à l’os pour acheter des drones et des missiles, pendant que les écoles fuient, les tribunaux moisissent, et les hôpitaux crèvent. Mais qu’importe ! On vous expliquera que cette dette-là est vertueuse, productrice, stratégique. Quant au remboursement ? Laissez donc. Ce sera pour plus tard, quand les enfants d’aujourd’hui, nés sous le signe du déficit, devront payer les intérêts de cette frénésie belliqueuse. Car bien sûr, ce sera le contribuable – et surtout celui qui n’a ni paradis fiscal ni niche défensive – qui règlera la note.
L’Europe n’a pas de projet. Elle a des ennemis.
C’est là le cœur du problème. L’Union européenne ne sait plus ce qu’elle défend, alors elle désigne des menaces. Elle ne produit plus de paix, elle simule la guerre. Elle ne propose plus de futur, elle achète des munitions. Et pour masquer ce vide existentiel, elle convoque les tambours de la peur, les chiffres vertigineux, les mots qui font trembler : sécurité, menace existentielle, urgence absolue. L’argent magique existe. Mais il est désormais armé, endetté, silencieux sur les bancs d’école, invisible dans les urgences saturées, aveugle devant la misère. Et comme toute magie noire, il finira par se retourner contre ceux qui y ont cru.
* inspiré de l'article de Marine Rabreau (Elucid)