Le Français est paresseux, c’est bien connu. C’est même l’un des derniers dogmes sur lequel éditocrates et économistes de plateau peuvent encore s’accorder sans avoir à lire autre chose que leur fiche de paie. Pour preuve : François Bayrou, en écho aux refrains de Macron, des libéraux et des pinailleurs de salon, ressasse lui aussi la litanie du fainéant hexagonal. Une litanie martelée depuis tant d’années qu’elle est devenue vérité d’État. Et pourtant, comme souvent chez ceux qui prétendent connaître le réel, la réalité, eux, ils ne l’ont jamais vue que derrière une baie vitrée triple vitrage, depuis leur bureau climatisé chez Challenges.
Mais à quoi sert cette rengaine ? Pourquoi cette obsession à nous faire travailler toujours plus, sinon pour nous empêcher de penser à tout le reste ? Moins de temps libre, c’est moins de temps pour contester, s’organiser, respirer. Le rêve libéral, c’est une société d’abrutis fatigués, de travailleurs accablés trop épuisés pour se révolter, de citoyens transformés en rouages, bien trop préoccupés par leur fiche de paie pour lever les yeux vers ceux qui les tondent.
Et pour légitimer cette logique, on sort la calculette piégée : les Français travailleraient moins que les autres. Moins que les Allemands, moins que les Espagnols, moins que les Coréens. Moins, toujours moins. Sauf que non. Sauf que c’est faux. Sauf que même l’OCDE et la DARES l’écrivent noir sur blanc. En heures hebdomadaires effectives, les Français ne sont pas les champions du hamac, mais bien au-dessus de nombre de leurs voisins. Mais qu’importe : les chiffres ne servent ici qu’à travestir le réel, jamais à l’éclairer.
On confond volontairement travail hebdomadaire et total annuel, en intégrant congés, jours fériés, chômage, temps partiels et autres subtilités pour fabriquer un mensonge politiquement utile. Car ce qu’on veut au fond, c’est justifier une politique de classe, où l’on supprime les droits au nom d’une pseudo-lucidité économique. Supprimer les 35 heures ? Évidemment. Supprimer les congés payés ? Pourquoi pas. Supprimer le SMIC ? On en parle. Travailler le dimanche ? Un progrès. Le mantra néolibéral est simple : tout temps non productif est suspect.
Et pendant qu’ils accusent le peuple d’oisiveté, les vrais fainéants sont à la manœuvre. Ceux qui n’ont jamais porté une palette, vidé une benne, tenu une caisse, soigné un patient, réparé une canalisation. Ceux-là parlent doctement de la “valeur travail” en ignorant jusqu’à la sueur. Ils n’ont jamais croisé un trouble musculo-squelettique de leur vie, mais savent que le salarié doit “donner plus”. Ils n’ont jamais serré une main calleuse, mais pondent des lois sur le chômage depuis un MacBook Air.
Ce sont les héritiers de l’idéologie bourgeoise la plus primitive : celle qui voit dans l’oisiveté des riches un loisir mérité, et dans le moindre repos des pauvres une menace sociale. Celle pour qui le loisir d’un ouvrier est un luxe intolérable. Celle qui justifie le travail à la chaîne en vantant le mérite, et oublie que le mérite ne pèse rien dans un accident du travail.
Car le travail, le vrai, celui des invisibles, tue. 759 morts en 2023, plus d’un demi-million d’accidents. Mais de cela, pas un mot. Mieux vaut parler “d’oisiveté culturelle”, de “grogne sociale”, ou de “wokisme”, pour détourner l’attention. Pendant ce temps, la gauche molle regarde ailleurs, trop occupée à débattre du pronom neutre pendant que le prolétaire crève de sa charge mentale, de ses lombaires éclatées ou de son CDI jetable.
La grande réussite de la droite et de ses chiens de garde médiatiques, c’est d’avoir volé le mot “travail” à la gauche. De l’avoir vidé de sa substance sociale, de son histoire, de son humanité. Désormais, on parle travail comme on parle de productivité. On en oublie la dignité, le sens, le plaisir, la coopération, le savoir-faire, l’éthique, l’utilité.
Le Français n’est pas paresseux. Il est exténué, démoralisé, désenchanté. Il sait que travailler plus, c’est s’enfoncer plus. Que son temps libre est la seule richesse qu’on ne peut pas encore lui taxer. Et que ceux qui l’accusent d’être fainéant sont bien souvent ceux qui ne foutent rien – à part gouverner.
Inspiré de l’article de Mikaël Faujour (Elucid)
Billet de blog 25 avril 2025
Fainéants ? Et toi, tu sers à quoi ? *
Les doigts dans le cambouis, la morale dans les Rolex
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