« Les dépenses publiques explosent ! », éructent chaque matin les perroquets néolibéraux, comme s’ils décrivaient l’apparition d’une peste noire. Oubliant au passage que ces "dépenses" sont tout ce qui nous empêche de crever plus vite, plus jeunes, et plus seuls. Car si la France est encore debout, si l’on meurt moins vite qu’ailleurs, si l’on soigne encore ses vieillards et ses enfants, c’est précisément grâce à ce que ces bavards veulent dynamiter. Leur rêve humide ? Que l’État se résume à deux ministères : police et finances, tout le reste livré à Amazon Prime.
Derrière leur vocabulaire de catastrophe, il n’y a qu’une obsession : préserver l’or de leurs maîtres. Sauver les dividendes, les parachutes dorés, les paradis fiscaux, quitte à sabrer l’hôpital, étrangler les communes, massacrer les retraites et transformer l’assurance maladie en prime optionnelle pour consommateurs aisés. Tout ce que le néolibéralisme vomit, au fond : la solidarité, le temps libéré, l’égalité des destins.
Depuis la fin des Trente Glorieuses, les financiers et leurs scribes de la médiacratie œuvrent méthodiquement : repeindre la protection sociale en gouffre budgétaire, faire des retraités des parasites, et des hôpitaux des "charges". C'est la grande opération de sabotage mental : marteler que l'État "gaspille" pendant que s'organise en douce la plus grande captation de richesses publiques au bénéfice des entreprises et des riches depuis l'Ancien Régime. Car l'énorme majorité de nos dépenses publiques – qu’on se le tienne pour dit – ne part pas en “fêtes du slip pour fonctionnaires” mais dans les pensions, la santé, les indemnités chômage, les soins aux enfants malades et aux vieillards fatigués. 60 % pour la seule protection sociale et les hôpitaux. 80 % des dépenses sociales pour la seule retraite et la santé. Et c’est précisément cette réussite historique – des retraités qui ne meurent plus dans les fossés – que la propagande néolibérale veut rayer d’un trait de plume.
Pourquoi ? Parce que ce pactole public, ce salaire différé soigneusement accumulé, fait saliver les gestionnaires d’actifs et les assureurs privés. Il faut donc briser le modèle : convaincre la population qu’elle paie trop, qu’elle reçoit peu, qu’on pourrait “faire mieux” avec moins. Et surtout, surtout, ne pas toucher aux cadeaux fiscaux du CAC 40 ni aux parachutes dorés des grands actionnaires. Sous l’excuse de “réduire la dépense publique”, les gouvernements successifs – aidés par la Commission européenne – organisent méthodiquement la paupérisation programmée des retraités, la désertification des hôpitaux, l’agonie des services publics essentiels. Le modèle est simple : voler aujourd’hui aux vivants pour sécuriser demain les dividendes des morts de rire.
Quant au soi-disant « gaspillage » des administrations ? Fantasme entretenu pour mieux masquer que les vraies "explosions" budgétaires viennent d'ailleurs : des subventions massives aux entreprises, des exonérations fiscales pour les riches, des crédits d'impôt à gogo... et bientôt, du financement privé des retraites et de la santé. Bref : tout ce que l'État devrait investir dans l'éducation, la santé, la culture ou la justice est siphonné pour nourrir un capitalisme sénile. Le plus ironique, c’est que la fameuse « anomalie française » n’en est pas une. Tous les pays développés dépensent massivement pour leur protection sociale ; simplement, ailleurs, c’est à la pompe des assureurs privés que l’on crache son salaire, et tant pis pour ceux qui n’en ont pas. Ici, la dépense est collective, mutualisée, socialisée – et ça, pour l’idéologie néolibérale, c’est pire qu’un crime : c’est un contre-exemple vivant.
Alors ils veulent le détruire. À coup de baisses de pensions, de hausses du reste à charge pour les soins, de privatisation rampante. L’objectif est clair : faire voter les retraités contre eux-mêmes, organiser le retour discret de la grande pauvreté chez les vieux, transformer notre sécurité collective en un marché du risque juteux pour les fonds de pension. Pendant qu’ils hurlent au loup fiscal, ils organisent en silence le plus grand recul social depuis un siècle. Et pendant que les Français comptent leurs RTT, les cabinets de conseil comptent leurs stock-options. Triste pays, où l’on sabote en vingt ans ce que deux générations avaient bâti au prix de tant de luttes.
À la fin, si rien ne change, nous travaillerons plus longtemps pour mourir plus vite. Mais rassurez-vous : McKinsey facturera la cérémonie.
Inspiré de l’article d’Olivier Berruyer (Elucid)
Billet de blog 26 avril 2025
Le grand incendie du pacte républicain *
La protection sociale ou l’ultime barricade contre les vautours
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.