On nous avait vendu le cycle de l’eau comme une mécanique paisible, presque morale : il pleut, ça coule, ça s’évapore, ça recommence. Une belle horlogerie naturelle, parfaite pour les manuels scolaires et les discours rassurants. En 2024, l’illusion s’est effondrée. L’eau ne circule plus, elle déborde ou disparaît. Elle n’obéit plus. Elle se venge.
Un tiers seulement des bassins fluviaux mondiaux fonctionne encore « normalement ». Les deux autres oscillent entre l’asphyxie et la noyade. Trop d’eau ici, pas assez là-bas. Sécheresses prolongées d’un côté, déluges meurtriers de l’autre. Six années consécutives de déséquilibre hydrologique, comme si la planète insistait, pendant que nous persistons à ne rien entendre.
La chaleur record de 2024, dopée par un El Niño survolté, a transformé l’eau en messagère de la catastrophe. L’Amérique du Sud se dessèche, l’Afrique alterne famine et inondations, l’Europe redécouvre la crue centennale tous les deux ans. Le Brésil brûle et se noie dans la même saison. L’Afrique tropicale enterre ses morts pendant que les experts parlent de « variabilité climatique ». Une variabilité qui tue.
Les nappes phréatiques, ce trésor invisible, sont pompées jusqu’à l’os. Dans près de la moitié des pays étudiés, moins de quatre puits sur dix affichent un niveau normal. Ailleurs, c’est l’épuisement ou la saturation. L’eau douce devient un mirage géré à flux tendu, pendant que l’agriculture industrielle, l’urbanisation et l’inaction politique font le reste.
Les glaciers, eux, fondent comme des bilans de fin de siècle. Des centaines de gigatonnes de glace disparaissent chaque année, transformées en millimètres de montée des mers. Peu spectaculaire à l’œil nu, dévastateur à l’échelle humaine. Des millions de personnes sont condamnées à regarder l’océan entrer chez elles, pendant que les gouvernements parlent encore d’objectifs à 2050.
En France, le tableau n’est guère plus glorieux. Les nappes se rechargent mal, les sols sèchent plus longtemps, l’évapotranspiration explose. L’eau potable dépend à 70 % de ressources souterraines déjà fragilisées, mais on continue d’augmenter les prélèvements comme si la réserve était infinie. Intrusions salines, effondrements de terrain, rivières à sec : le futur hydrique du pays se prépare dans une indifférence quasi administrative.
Ce qui frappe, ce n’est pas la surprise. Tout est documenté, mesuré, modélisé. Ce qui frappe, c’est la lenteur obstinée de la réaction. Le chaos de l’eau n’est pas une fatalité naturelle. C’est le résultat d’un choix collectif : celui de ne pas toucher à l’ordre économique qui assèche les sols, rase les forêts, dérègle le climat et privatise le vivant.
L’eau n’est pas en crise. Elle est devenue le thermomètre d’une civilisation qui préfère gérer l’urgence plutôt que remettre en cause ses causes. Et quand les sécheresses dureront des années, quand les inondations deviendront la norme, on expliquera encore que « personne ne pouvait prévoir ».
La planète, elle, avait pourtant prévenu.
Billet de blog 29 décembre 2025
L’eau ne respecte plus les hypothèses
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