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Billet de blog 5 avril 2017

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Révolution, élection et le monde qui vient.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voici un siècle, la Grande guerre, puis la Révolution bolchevik venaient balayer l’ordre établi. Celui-ci dévoilait en quelques mois toutes ses fragilités accumulées depuis des décennies. En l’espace de trois ans, les ordres interne et externe explosaient. Ces deux événements majeurs ont rompu les équilibres issus des grands congrès du 19e siècle, ainsi que l’organisation résultant de l’émergence des Etats-Nations. Toute la séquence politique qui s’ensuivît ne fût qu’une réponse aux défis posés par la déstabilisation du système international, à l’appropriation et au sens des sacrifices consentis et au niveau interne par le défi du mouvement ouvrier. Nos paradigmes politiques ont reposé sur ces questions. La construction européenne, le pacte social du Conseil national de la Résistance, ultime avatar d’une guerre de Trente ans, mais également les soubresauts de la Décolonisation, la séquence du multilatéralisme de l’ONU, les tensions de la Guerre froide sont le produit de ce grand ébranlement du Monde dont le coup de feu de Sarajevo d’une part et les diatribes de Lénine d’autre part sont les figures les plus symboliques. La vie politique nationale de ces 70 dernières années fût enfantée par ces instants historiques, à peine juste troublée par les échos des bouleversements technologiques ou le tumulte du monde. Le voyage du général De Gaulle en décembre 1944, à Moscou, le plan Marshall, ou la ratification de la Charte de San Francisco, puis la volonté de trouver les chemins de la prospérité à l’échelle du Continent par la coopération et un marché unique ont structuré la vie politique. Elles ont laissé une belle place au consensus et au compromis. Pourtant le monde changeait. Même si la vie politique n’en laissait rien paraitre, l’axe du monde basculait. Emergence d’autres puissances, ère du réseau, poussée communautaire, mouvements migratoires. Autant de phénomènes dont nos élites ont eu du mal, et ont encore des difficultés à s’approprier les conséquences. Un siècle plus tard, l’élection qui vient est la première placée sous le sceau de la post-modernité, cette séquence qui ne repose plus sur les coups de feu de Gavrilo Prinzip ou la geste des cavaliers rouges de Boudienny. Il aurait pu en être autrement. Nous nous attendions tous à des débats vertébrés par cette angoisse du déclin, cette nostalgie d’un âge d’or ancré dans les années 1960, une époque où le gaullisme triomphant dressait un rempart vigoureux face au reste du monde. Une époque où les taux de croissance attractifs, nourris de matières premières peu couteuses ainsi que de la faiblesse de la compétition internationale, venaient abonder le pouvoir d’achat des français. Chacun s’attendait à des échanges formatés sur la gestion des flux migratoires et leur conséquence identitaire, entendu à l’aune de schémas exhumés de la IIIe République. Le malheur français devait irradier les plateaux télés, avec des réponses ordonnées, prévisibles. Une alternance programmée avec quelques réformes de surface permettant à un système de perdurer encore un mandat. Ou peut-être deux. Une élection également placée sous le spectre brutal de la menace. Une menace diffuse et protéiforme venue de l’extérieur et renforcée par les dérives internes. Une élection facile avec des boucs-émissaires et des réponses symboliques.

Il n’en sera rien.  A l’instar de la défaite de 1870, ou « l’Etrange défaite » de 40, quelques articles dévoilant l’écume des pratiques partagées de la Ve République sont venus balayer le cycle électoral. La nature même du monde qui vient est d’être imprévisible et imprédictible car le temps s’est rétracté, contracté. La puissance numérique, les mutations technologiques peuvent en l’espace de quelques instants inscrire dans l’espace et le débat publics des questions qui auraient mis davantage de temps à infuser. La temporalité politique change. En ce sens, déjà cette élection est la première élection post-moderne. Les termes balisés du débat ont disparu. La logorrhée convenue des intellectuels et journalistes conservateurs n’impriment plus. Déjà, il n’y a plus de discours dominant. 

Aucun sujet n’est l’apanage d’un camp. La lutte se joue même parfois à fronts renversés. Il est même probable que bien des sujets occultés par paresse ou conformisme vont revenir au centre du débat. Ruralité, vieillissement, travail, souffrance au travail, efforts et partage de l’effort, relations transatlantiques, Europe, performance des services publics, intégration seront retraités dans les débats, imposant à chacun des candidats l’obligation de se dévoiler bien au-delà des thèmes habituels (temps de travail, immigration, sécurité). Certes quelques candidats aspirent à conserver le système ancien, satisfaits de ces lignes de partage datant de la Guerre froide. Ce monde commode où la sémantique tenait lieu de programme. Ils seront, toutefois, dans l’obligation de dévoiler leur conception du monde, sous peine de sombrer à des niveaux résiduels.        

Cette élection ne marque pas une alternance comme celle de 1981. Elle dépasse la simple introduction de nouveaux vecteurs comme celle de 1965, avec l’apparition de la télé. Elle va au-delà de celle 1974 qui posait la question de la transition de la société vicinale française. Elle accélère le temps pour nous amener à opérer des choix de société, toutes choses qui n’ont pas été faites dans les élections plus récentes. Les termes du débat disposés par les prétendants sont structurants. Quoique marquée par les affaires, mais celles-ci sont le visage de pratiques issues d’un condominium dépassé, cette élection est décisive. Elle l’est car les champs du possible sont ouverts. En ce sens, puisque tout est possible, elle est révolutionnaire. Il est probable que l’onde de choc de cette élection dépassera le cadre institutionnel de l’élection présidentielle et affectera également les autres strates administratives, faisant même peut-être valser les exécutifs locaux, en fonction de l’identité du vainqueur.  

Le vainqueur sera celui qui non seulement aura la force de conviction, car le style c’est l’homme, mais surtout celui qui apportera les réponses structurées pour offrir un projet de société à une France qui souffre, s’essouffle dans un murmure inquiétant. En déréalisant les français, en les réduisant leurs préoccupations dans un monde complexe à quelques items, en reléguant certaines catégories, en typologisant, certaines personnalités politiques ont oublié que la conduite d’un pays dépasse la somme des problèmes à résoudre. Non pas que « l’intendance suive », car l’intendance (logement, pouvoir d’achat) relève bien de la politique, mais il s’agit, à l’aune d’un monde privé de sens, de réinventer le rêve français. Celui qui s’est forgé derrière la bannière universelle de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Ces mots dont l'absence expliquent le désordre mondial, tout autant qu'elle éclaire sur les causes des désordres internes. C’est à ces mots mêmes qu’il convient de redonner sens et chair. C'est ce à quoi aspiraient probablement les héros de Valmy ou les partisans de Guingouin. Et non au spectacle navrant de déchirements anachroniques qui ne permettent pas au "cher vieux Pays" d'occuper la place qu'il mérite dans un monde en mutation. La compétitivité, l'amélioration des finances publiques sont les moyens de parvenir à ces objectifs, et non la finalité.                                

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