Michel Foucault nous manque. Son oeil éclairant et pétillant, ce désosseur de système politique qui a su fouillé le ventre de la politique, notamment dans ses Leçons au "Collège de France", a disparu avant les gigantesques révolutions technologiques qui ont transformé les sociétés industrielles, pyramidales, contractant l'espace-temps et le monde à un clic. Celles-ci ont bousculé nos habitudes, ont fait exploser les relations sociales en instituant d'autres champs d'expression et de représentations, désintégré la linéarité du temps pour les remplacer par des suites d'instants où l'information circule au rythme des impulsions électriques. Il nous a quitté en 1984, année symbolique dans l'interprétation du politique, une année où Apple déferlait sur le marché, en utilisant justement la référence orwelienne, l'année où Flight simulator apparaissait, où le MIT développait Windows. Certes, ce grand paradoxal s'est fourvoyé dans les méandres sinueuses du mystique. Michel Foucault était, malgré lui, un enfant de l'Age classique et des deux révolutions industrielles. Lire Foucault, c'est non seulement découvrir l'archéologie du savoir, mais aussi se faire archéologue du pouvoir actuel, entendu comme les formes modernes de domination. C'est avec lui, et sans lui, comme nous sommes sans Weber, que nous cherchons à comprendre la manière dont s'ordonne ou se déstructure les relations de pouvoir à l'age post-moderne, celui qui succède aux Etats, nés des Traités de Westphalie, puis aux Etats-Nations, produits par les grandes révolutions du 19e siècle, avant celle de l'ère démocratique.
La question de l'exercice du pouvoir reste une question centrale. En effet, derrière les masques de l'universalisme, du partage des connaissances et des illusions de la société de la connaissance, le pouvoir existe. Il sait recycler les moyens technologiques pour maintenir et conserver son espace, produire ses normes et ordonner les et aux choses. Et derrière cette question du pouvoir se pose celle du politique qui est à la fois le vecteur de légitimation du pouvoir, mais aussi sa finalité. Disons-le brutalement, car il faut bien défendre une opinion qui par nature reste une hypothèse subjective, il existe un fait politique irréductible, même à l'ère des réseaux et du village planétaire. Ce fait existe d'autant plus que nos sociétés traditionnelles, vicinales se sont fragmentées en différents segments qui font que pour en revenir à l'Hexagone des catégories complètes de populations sont devenues étrangères les unes aux autres. Ces césures sont horizontales et verticales. La crise du politique, procède en partie de la difficulté de s'adresser à tous, l'Unique, le corps social, étant devenu multiple. Certes, nous connaissions les classes sociales qui se rencontraient dans la confrontation, Warren Buffet ayant rappelé voici quelques années que "La lutte des classes existe et nous l'avons gagné", mais elle opposait des individus partageant des schémas culturels communs et une envie de converger vers un idéal. Aujourd'hui, à la lutte des classes, s'ajoute la multiplication des luttes entre groupes culturels parfois déterritorialisés. Un geek français est-il plus proche du geek anglo-saxon ou du paysan, de ce défricheur de terre de l'Ariège ? Ce dernier partage-t-il les mêmes espaces de représentation avec un urbain hyper-connecté ou avec un autre paysan catalan ? De cette fragmentation, naît le politique puisque les aspirations et les attentes collectives ne sont plus partagées. Julien Freund rappelle que le politique naît de cette conflictualité. Papini surenchérit "La paix n'est pas possible, nous sommes eux", soulignant que l'altérité est source de guerre, celle-ci prenant la forme du fait politique, d'un fait ascendant. Dans le même temps, le fait politique descendant est lui confronté aux révolutions numériques, à l'instantanéité de la circulation de l'information, mais aussi à de bouleversements productifs qui transgressent les frontières, les abolissant. La conception agro-pastorale du pouvoir et de son corollaire, le fait politique, se heurte de manière frontale à celle des réseaux, disséquée de manière clinique par Jacques Rancière,après avoir encaissé le choc de la césure entre pouvoir/autorité et décisions depuis les années 1970 (sujet bien connu désormais des politistes), et résultant de la multiplication des acteurs (associations, ONG, OIG...). L'enjeu de l'action publique est de rassembler autour d'un projet commun. Parfois, le pouvoir se contracte et s'oppose aux principes de réalité exposés ci-dessus. Il rassemble des fragments de population contre une autre partie, mais à l'ère post-moderne, il ne pourra pas non plus résoudre la puissance des out-puts. Les régimes politiques issues de la contraction,ou de la rétractation du temps et du monde ne sont que des parenthèses ou des variétés stériles. Claude ou Caracalla ont su donner du souffle à l'Empire romain qui devait gérer des contraires par l'appropriation des nouveaux enjeux politiques, tandis que leurs successeurs ont cru pouvoir s'opposer au monde en se figeant sur des principes qui ne pouvaient l'emporter face à un mande changé. Tout ceci paraitra sans doute un peu abscons, car la question mériterait d'être approfondie, mais les lignes de clivages du débat politique actuel, la politique, sont issues de ces lignes de force. Il reste à espérer qu'un nouveau Foucault saura faire la genèse de la politique de ces 30 dernières années pour nous expliquer comment et en quoi le biopouvoir étatique a mué. A ce prix, les politiques pourront peut-être simplifier les enjeux et les citoyens que nous sommes retrouver une place et de sgrilles d'interprétation. La complexification du monde actuel, la diversification, l'interopérabilité, les interactions sont si ardues qu'une nouvelle fois nous sommes comme les visiteurs du Palais de Septime-Sévère contemplant la voute étoilée du plafonds indiquant le destin de cet empereur rassemblant l'auctoritas et la potestas. Heureuse époque que celle où pouvoir, autorité et puissance convergeaient vers un seul homme. C'était le temps jadis et bien malin celui qui pourrait croire que la mélancolie suffit à vaincre le réel.
Billet de blog 13 février 2017
Des mutations du pouvoir et de la politique
Le pouvoir change. Il y a d'abord eu cette césure entre "auctoritas" et "potestas". Nous assistons maintenant à l'émergence non seulement de contre-pouvoirs, mais également d'un questionnement sur la nature du pouvoir tel qu'il se déployait à l'ère industrielle face aux défis de la post-modernité (ère du réseau, révolutions technologiques, tensions entre légalité et légitimité).
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