« Assez, c’est assez », ai-je envie d’écrire ce matin. La campagne présidentielle est bien lancée, et les campagnes politiques ont ceci de particulier qu’elles restent pacifiques. Il y a aura bien un vainqueur et des vaincus. Mais chacun quittera le champ de bataille à l’issue. Nous allons assister pendant moins de 10 semaines, bien plus qu’il n’en a fallu à la Wehrmacht pour occuper la Pologne, à des échanges, des empoignades, des déboires et des gueules de bois. Celle-ci se distingue par des coups de main, des manœuvres de sabotage, des enveloppements et l’on se demande si elle n’est pas une gigantesque partie de jeu de go, avec un final qui sent la Blitzkrieg. Pourtant, cette campagne n’est pas si innocente que cela. Derrière les apparences, les silences et les interdits tuent. Ou laissent exsangues des franges entières de la population. En effet, tandis que les débats tournent autour de plus ou moins de libéralisation de l’économie, quelque sujets régaliens- avec trop souvent des réponses toutes-faites comme des recrutements-, la baisse virtuelle des dépenses de l’Etat à laquelle plus grand monde ne croit puisqu’elle repose sur des « réformes structurelles » qui sentent les formules incantatoires, ou des idées générales sur l’amélioration de la performance scolaire, de grandes questions sont-elles délaissées. Reléguées. Négligées. Ecartées. Occultées ? Pléthore de sujets sont escamotés, laissant apparaitre des programmes qui sentent les catalogues à la Prévert, ou des compositions pointillistes (merci Signac). Prenons, par exemple, un sujet qui touche la société française, transition démographique oblige, voire qui nous touchera tous, au travers de nos parents, puis de nous-mêmes pour les plus jeunes : le vieillissement. C’est un sujet du quotidien. Ils sont là avec nous, à nos côtés. Et pourtant, nos candidats ignorent jusqu'à la première ligne de ce débat. Pour l'instant.
La France vieillit et vieillit mal. Alors que les pouvoirs publics (Etat, collectivités locales, tissu associatif) ont su prendre en compte la petite-enfance, l’enfance, la jeunesse, les « seniors » sont délaissés. Soumis aux moyens qui sont les leurs pour affronter leurs dernières étapes de la vie. Comment vivent-ils ? Comment adapte-t-on l’environnement urbain pour leur faciliter la vie ? Comment prévient-on, puis gère-t-on la dépendance puis la perte d’autonomie ? Nos réponses sont-elles encore adaptées ? Ces questions sont reléguées. Marginalisées. On se satisfait des dispositifs existants, orientés vers la gestion de la dépendance (aide à domicile, puis hébergement), tout en sachant que nos modèles sont à bout de souffle. Mais on ne va pas plus loin. Les grandes lois fondatrices ne constituent pas une trame opérationnelle déclinée territorialement. Plus grave, tandis que les conditions de fin de vie s’étaient améliorées, elles commencent à régresser. La prise en charge par les familles devient difficile. Les spécialistes du secteur sont inquiets et personne ne les écoute. La bienveillance est un mot à la mode et l’on tolère une forme de maltraitance car nous sommes incapables de penser le sort des « vieux », des seniors. De temps à autre, au travers de la canicule ou d’épisodes pathologiques, le sujet de la fin de vie est abordé. Mais, rien de plus. La prévention, l’adaptation de notre tissu professionnel et associatif, l’adaptation des villes aux personnes âgées sont des sous-sujets. Les ambitions manquent tout autant que les moyens. C’est non seulement regrettable, mais bien plus choquant. Tout ceci sent « L’âge de cristal », ou « Soleil vert ». Je l’écris sans ironie. Il faut prêter attention aux inquiétudes des responsables associatifs qui sentent l’isolement poindre. Aux acteurs de l’aide à domicile qui jours après jours sont confrontés aux arbitrages de leurs clients qui renoncent à des actes pour des raisons économiques au détriment de leur santé. Que dire des EHPAD, dont les coûts d’investissement et de fonctionnent amènent à des tarifications lourdes pour les familles ?
Au-delà de ces exemples, c’est tout un segment de population que l’on doit réintégrer dans l’espace public et politique. Certes, les lois s’accumulent. Mais, jusqu’à présent, elles n’ont pas remis en question notre modèle dont on observe l’épuisement. Elles se situent trop souvent au niveau des intentions générales, avec une littérature abstraite sur « l’intergénérationnel », « la bientraitance », d’une part, ou de l’accumulation de mesures techniques. Curieusement, même si le potentiel électoral existe, les impétrants à la magistrature suprême semblent renoncer à se prononcer sur cette vraie question de société.
Il faut un débat et une Loi d’orientation qui aboutisse à une démarche intégrée et pas la simple production de mesures qui ne masquent plus les difficultés rencontrées par les seniors, les familles et les acteurs institutionnels de la dépendance qui ne savent plus comment financer leurs missions.
Il y a urgence. Gouverner, c’est prévoir. Pour l'instant, on prévoit le pire, les bras ballants, alors que les diagnostics sont faits. Quelle catastrophe attend-on ? Doit-on revenir aux mouroirs d'antan pour comprendre que prévenir et accompagner le vieillissement est plus utile et plus moral que de laisser filer les générations vers des hospices sans âmes, qui finalement amplifient les injustices ? A ceux qui craignent pour la dépense publique, je rappelle que celle-ci est parfois nécessaire, mais également que tous les défis du vieillissement ne seront pas supportés par le service public. D'autres manières d'agir, avec souplesse, peuvent permettre de construire une grande politique du vieillissement. L'essentiel est d'en avoir la volonté. Le calendrier est propice pour le rappeler...
Le prochan Président sera-t-il celui de tous les français ou des plus jeunes ?