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Billet de blog 14 février 2017

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Peur, insécurité et gouvernance.

Sécurité et insécurité dominent le débat public depuis une trentaine d'années. Bien plus que ces deux items ne le faisaient à des époques ou ces questions étaient les plus brûlantes de leur temps. Leur place, justifiée par nos inquiétudes, interroge le pouvoir, qui doit tant à son rôle de régulateur dans ce domaine...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En ouvrant, en 1976, son journal télévisé par un fameux "La France a peur", Roger Gicquel est rentré dans l'histoire. Cette question de la peur faisait une entrée fracassante dans les médias. Elle ne cesse depuis de nous hanter. Les plus téméraires aimeront rappeler que la peut n'est pourtant pas un sujet nouveau. Thomas Hobbes se définissait comme un enfant de la peur. Celle-ci était familière à l'homme depuis la nuit des Temps. La naissance des Etats modernes est d'ailleurs consubstantielle de cette volonté d'éradiquer la peur. Lorsque François Ier donne naissance aux Maréchaussées de France, il entend protéger les axes de communication, assurer la sécurité des biens et des personnes et faciliter la liberté de circulation. L'Etat, à partir du XVIIe siècle se construit pour apporter des réponses aux crimes et délits et à cette insécurité chronique qui secoue les villes et les campagnes. Le biopouvoir de Michel Foucault est le produit de cette tension permanente qui secoue l'Europe en général et la France en particulier. Le livre de Robert Muchembled, "Histoire de la violence" est saisissant sur ce sujet. Si la France a peur actuellement, et à juste titre, que dire de nos aïeux victimes des bandes d'écorcheurs, de saucissonneurs, à l'instar de la bande d'Orgères ? La peur a longtemps été la compagne familière de notre quotidien. Toutefois, celle-ci est devenue aujourd'hui un principe structurant de l'action publique. L'insécurité qui en est la cause reste la deuxième question préoccupant les français, derrière les questions économiques, et son corollaire, l'emploi. Sans doute parce que nous avons passé trois décennies apaisées, sous les Trente glorieuses, la dégradation du contexte survenue depuis les années 1980 nous semble insupportable. Les événements, bien plus graves, de ces deux dernières années ont renforcé ce sentiment et donnent un relief particulier aux propositions des candidats.           
En effet, la sécurité constitue une liberté essentielle et un droit pour tous. Un Etat, entendu comme ce bardage normatif et opérationnel qui ordonne la société, qui ne rend pas à ses sujets-administrés toute la sécurité qu'ils sont en droit d'espérer perd singulièrement en légitimité. L'enjeu est donc essentiel. En la matière beaucoup a été tenté, en particulier dans le domaine de la délinquance (atteintes aux biens et aux personnes).
Les pouvoirs et moyens de la police, plus exactement l'ensemble des moyens concourant à la sécurité, et de la justice ont été renforcés. Depuis la création de la sureté, en passant par l'étatisation des forces de police, puis l'augmentation des effectifs, leur spécialisation, puis l'intervention des communes, depuis le rapport Bonnemaison, il ne s'est pas passé une décennie sans que des innovations opérationnelles ou réglementaires majeures ne soient produites. Malgré tout, les résultats ont été contrastés. Alain Bauer rappelait qu'au milieu des années 1990, le taux d'élucidation était tombé très bas, renforçant un sentiment d'impuissance des victimes et d'impunité pour les délinquants. La peur s'est donc instillée, clivant les propositions politiques, certains étant tentés par un angélisme, d'autres par de surenchères dont on constate la relative inefficacité. A cette peur ordinaire qui anime les jeunes à la sortie des collèges et des lycées, celles qui préoccupent les usagers des transports en communs, ou qui incitent les ruraux à se méfier des inconnus, s'ajoute la peur vertigineuse causée par le terrorisme qui frappe notre pays. Jamais sans doute depuis la grande campagne anarchiste qui culmine avec l'assassinat du Président Carnot, ou l'attentat d'Henry à la Chambre des Députés, cette question n'a été aussi prégnante dans les discussions privées ou le débat public. Puisque beaucoup a été tenté, sans que rien ne soit pleinement efficace, faut-il se résigner à l'impuissance ou au contraire se laisser à une remise en cause globale des libertés publiques ? Probablement pas. La production des politiques de sécurité repose sur de nombreux acteurs et exige beaucoup de coordination. De nombreuses initiatives ont été entreprises pour organiser depuis le Conseil de sécurité intérieure jusqu'au niveau local ces échanges. Ainsi, dans la domaine de la prévention, nous pouvons apprécier la mise en oeuvre des Contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, devenus les Stratégies territoriales de sécurité et de prévention de la délinquance qui permettent une production optimisée des politiques locales de sécurité (PLS).           Après un demi-siècle de quasi monopole régalien, l'Etat accepté de partager cette responsabilité avec l'ensemble des acteurs. La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a fixé la doctrine actuelle de la politique de prévention de la délinquance consacre ce mouvement de coconstruction des PLS.
Il faudra sans doute aller plus loin car pour résorber la délinquance et par voie de conséquence le sentiment de peur, seule des réponses structurées autour du continuum Prévention-répression-sanction pourront être efficaces. Il convient de prévenir, puis si nécessaire de réprimer et de sanctionner justement pour contenir cette anomie qui vient. Prévenir signifie instruire, éduquer comme on le fît naguère lors de ce grand mouvement de pacification sociale dont traite Norbert Elias. La société issue du Moyen-Age et des guerres de religion était autrement plus brutale que la nôtre. Cette oeuvre de civilisation des moeurs est indispensable. La sécurité publique, le contrôle de l'espace public par des moyens techniques et humains est tout aussi indispensable. Dans ce domaine, les maires ont un rôle important qu'il convient de souligner. Ils restent des échelons de proximité disposant d'outils pour agir. Le renforcement des pouvoirs de police relatifs à la petite délinquance sera sans doute à envisager, sous le contrôle judiciaire. Les polices municipales sont devenues incontournables et on ne peut que regretter que leur champ d'action soit figé dans celui des années 1990. Ainsi, l'accès à certains fichiers est parfois ouverts à entreprises mais leur est interdit (fichiers véhicules ouverts aux garagistes et pas aux PM). Ces dernières peuvent décharger les services de la Police nationale de missions de proximité (ilotage, gardes statiques) pour lui permettre de se consacrer à des missions plus conformes à l'excellence de sa formation (enquêtes, opérations spécialisées). Enfin, à l'ère de la mutualisation, un soutien au développement des polices intercommunales est sans doute nécessaire pour renforcer les moyens dans les espaces ruraux. Il convient renforcer les complémentarités entre les différentes polices et acteurs. Enfin, les questions des sanctions et de l'exécution des peines sont ouvertes. A ce titre, les moyens dévolus à la justice en France sont-ils suffisants ? Chacun s'interroge depuis longtemps sur la relative efficacité des peines et de leur exécution. La question des moyens accordés à la justice en France depuis longtemps est un sujet sensible. En revanche, chacun sait que les parquets croulent sous le poids des procédures et que nos établissements pénitentiaires sont saturés. 
Peur et insécurité vont rester au centre des débats, au rythme de l'actualité. Paradoxalement, ces questions sont de moins en moins clivantes entre les formations et courants. Les problématiques sont connues et les réponses à peu près partagées. Les résultats attendus ou espérés sont plus complexes car au-delà des réponses techniques, financières ou humaines, des dimensions sociales interviennent. Une chose est certaine, sur le long terme, nous assistons à un changement de paradigme et l'Etat né de la peur, de cette grande peur issue du XVIe doit à l'orée de ce nouveau millénaire forger des réponses pour conserver son rôle historique, sous peine de laisser glisser nos sociétés vers l'ensauvagement ou de nouvelles féodalités.      

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