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Billet de blog 19 mai 2017

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De la cohésion des territoires.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De la cohésion des territoires.

Puisque la cohésion des territoires, et donc toutes choses égales par ailleurs le pacte social dont disposent les valeurs de la République (Liberté, Egalité, Fraternité) entre les populations et les générations, est menacée, un Ministère dédié sera consacré à cette question. Cette réponse est heureuse. Le sujet essentiel. Journalistes, spécialistes, experts et apprentis-penseurs n’ont eu de cesse de le répéter depuis plusieurs années. Cette création était devenue une urgence. Non seulement pour des raisons politiques, une forme de ressentiment s’exprimant à chaque élection face à ces inégalités françaises, mais surtout pour les raisons cliniques examinées de manière scientifique par les géographes, économistes, essayistes, hauts-fonctionnaires et politistes. Toutes les études convergent à relever les fractures françaises qui opposent les espaces ultra-marins et l’Hexagone, les campagnes contre les villes, les espaces périurbains contre les centre-villes, quelques Métropoles contre d’autres, Paris contre la France. Ces inégalités multiples. Niveau de revenus, accès à l’emploi, aux services publics, à la mobilité sociale sont autant de signes de ce développement différencié.

Le sujet est grave. Il n’entrave pas seulement le progrès collectif tout en le révélant . En effet, il ne saurait y avoir République solide sans isonomie (égalité des droits, égalité devant la loi), isagoria (droit à la parole identique) et isothymie (reconnaissance, pour faire simple). L’inégalité des territoires constitue un handicap pour la France. Ses causes sont profondes. Certes, il y a toujours eu des perspectives différentes. Naguère, les milieux naturels (vallées encaissées, marais, mondes sylvestres) constituaient des handicaps pour les populations résignées. La science et le progrès nous ont permis de surmonter ces premiers obstacles. Malheureusement, au 20e siècle, plusieurs séquences sont venues rythmer et réduire les bénéfices du progrès obtenus par la révolution industrielle et la volonté républicaine (reposant respectivement sur les moyens de transport et de communication, et l’école et les services publics).

La Grande guerre a laissé moribond certains pans du Pays. Les monuments aux Morts de certains départements témoignent de cette saignée qui a laissé exsangue nombre de villages, fauchant toute une jeunesse inspirée et contribuant à un vieillissement accéléré. L’essor industriel, la transformation des modes de production industriels ont renforcé cette polarisation du pays. Mais, comme un choc en retour, plus récemment, la désindustrialisation a ajouté de nouvelles fractures, hélas bien visibles. Enfin, dans les deux dernières décennies, les contraintes financières ont exigé et conduit à une révision déchirante du maillage des services publics qui contribuaient à l’équilibre territorial. Comme faucheur rasant un pré, certains pôles intermédiaires ne se sont pas remis du départ de services publics ou de la fermeture des manufactures. Tout ceci est connu. Pour faire face aux ruptures,  l’Aménagement du territoire, puis la Décentralisation, lancée il y a 30 ans, ont donné du souffle et ont permis à certains territoires de regagner en compétitivité ou de contenir les effets des tendances lourdes examinées ci-dessus. Trois décennies après l’acte de la Décentralisation, nous arrivons au terme d’un cycle. La libre-administration des collectivités par elles-mêmes, ainsi que les schémas issus de la France du compromis gaullien arrivent à leur terme. La politique d’aménagement volontariste s’est achevée par la remise pleine et entière aux acteurs territoriaux de leur destin. Un sentiment mélancolique habite et anime bien opérateurs locaux qui constatent l’ampleur du désordre. Cette fin de séquence converge avec le constat cruel d’un développement différencié des territoires qui laisse à côté du progrès des millions de français.               

Il est donc heureux que la cohésion des territoires soit une préoccupation de l’action publique. Il reste à reconstruire des politiques publiques qui rendent toute sa noblesse au mot « Egalité ». L’attractivité de tous les territoires sera une chance non seulement pour les oubliés, mais pour les français dans leur ensemble. Il reste tout de même à vaincre les hauts-murs du cloisonnement de l’action publique, celui encore plus épais de la raréfaction des ressources. Assurer les mêmes chances à tous les français, leur permettre de bénéficier de l’égalité de traitement, cette même égalité que nous connaissons face à l’impôt, créer les conditions du bien-vivre local, exigent d’assurer la mutation des territoires. Ce sont de beaux objectifs, mais ils ne pourront être atteints qu’en opérant une révolution des pratiques administratives, en surmontant les clivages, les oppositions, les contradictions. Il s’agit sans doute d’une question qui commande une intervention raisonnée et qui ne portera ses fruits que dans la durée. De même, ces quelques lignes ne restent qu’à la surface des choses et ne permettent pas de comprendre toutes les interactions. Il nous reste donc à être patient pour que le Triptyque républicain reprenne tout son sens car il ne faut jamais oublier que derrière le concept de territoire, c’est d’abord des français et des françaises de toutes les générations dont nous parlons.

Construire l’avenir, c’est accepter, probablement, de repenser un jacobinisme éclairé, ou un girondisme raisonné. Celui-ci doit penser le développement à l’aune des voisins, imaginer de nouveaux réseaux, prendre en compte la modernité. Il faut adosser et construire l’avenir en transcendant les frontières. L’axe Seine-Paris a-t-il vocation à être l’Hinterland du bassin rhénan ? Voilà une question, parmi de nombreuses autres, qui mérite d’être posée. Après tout, les axes de circulation des biens et des personnes ont toujours été synonymes de progrès. A cette vision macro, il faut ajouter des interrogations sur le maillage territorial. Oui, il est probable que nous devons renforcer entre les Métropoles des pôles intermédiaires, susceptibles d’accueillir, de loger, de faire travailler. Pour les soutenir, il faut questionner les moyens de transport, les schémas de développement numérique. Pour apporter des réponses à ce type de questions, il faudra vaincre certaines féodalités issues de l’histoire administrative récente. Il faudra également associer tous les acteurs de la société civile. Le mot est à la mode. Tant mieux. Il faudra également penser les services publics à l’aune des enjeux de la cohésion. Ou leur trouver des alternatives technologiques puisque la contrainte et là. Et comme celle-ci est prégnante, il faudra poser non seulement la question des dotations, mais celle des modes de coopération. Les lois MAPTAM et NOTRe ouvrent la voie. Mais, surtout dans le 2e cas, elles n’ont pas assez prescriptives. La rationalisation de la dépense publique permettra aux collectivités de regagner des marges de manœuvre pour impulser de nouvelles dynamiques. A la logique d’empilement d’équipements, de clientélisme local, substituons celle de l’action locale ouverte sur l’attractivité économique ou au lien social. Les écueils sont nombreux. Administratifs, avec le cloisonnement des acteurs. La propension naturelle aux recours à des solutions bordées, balisées, connues. Techniques avec des problématiques financières et fiscales. A une administration normative ou de contrôle, il faut substituer une administration de mêlée qui s’engage la bataille de la cohésion en structurant des relations multilatérales. En acceptant la complexité de l’action territoriale, tout en refusant de se résigner au poids des influences locales. Une nouvelle séquence locale doit s’ouvrir. Une séquence faite d’agilité, de fluidité, de mobilité qui s’adosse aux nouveaux moyens technologiques et à la prise en considération de tous les paramètres issus de ce monde post-moderne qui vient de naître. Retirons les enseignements de la Décentralisation pour s’adapter au changement de paradigme que nous subissons en « revertébrant » le local, sans autre considération que celui des français. Et pensons l’aménagement au-delà des corporatismes en intégrant dans l’équation tous les termes et toutes les générations pour que l’on cesse de distinguer insiders et outsiders et que notre société ne soit plus déceptive. La détermination et la volonté peuvent faire obstacle à la mécanique cruelle de la relégation territoriale.                                   

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