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Billet de blog 20 février 2017

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Pouvoir, représentation et politiques culturelles à l'aune des Elections...

Les rapports sociaux se dégradent. La violence vient. Pour autant, jamais la volonté de construire le vivre-ensemble avec la culture n'a été aussi absente des débats. Quand ouvrira-t-on le débat sur quelles politiques culturelles, avec quels objectifs et quels moyens ?

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Pouvoir, représentation et politiques culturelles à l’aune des Elections présidentielles…

Les politiques culturelles, en France, revêtent une dimension symbolique forte. En effet, chaque régime, chaque souverain ont eu à cœur de produire du sens, en l’incarnant, ou le réifiant, par la production d’un patrimoine qui essaime sur tout le territoire, ou un soutien à la production culturelle, dont le spectacle vivant. Les moins impliqués de nos Chefs d’Etat ont, parfois, préféré contrôler cette production qui n’était pas la leur, à défaut d’en maitriser la production. La culture, entendue comme ce système de représentations et d’imaginaire, est donc un sujet politique depuis la dynastie des Valois, lancés dans leurs campagnes d’Italie. Après quelques siècles passés à conforter son assise territoriale, d’Hugues Capet à Louis XI, la monarchie française, avec Charles VIII, s’est lancée dans une entreprise de légitimation face aux autres sources de pouvoir, dont les grands féodaux, renouant avec la geste libérale de quelques grandes figures (dont les Comtes de Champagne).

Sans être asservis, les acteurs culturels ont bénéficié d’un soutien régulier de cette monarchie qui défiait le profane, avec l’Empereur et le sacré, avec les Etats Pontificaux. Commandes, organisation (avec une forme d’institutionnalisation au travers de la création de l’Académie royale, puis les salons), lieux d’accueil pour les artistes, sont venus rythmer l’émergence, l’ordonnancement du monde culturel, dans une société française dont les conditions de vie s’améliorent. Le pouvoir, cette figure abstraite qui émerge des méandres de la fin du Moyen-Age, avec les guerres d’Italie, et de la Renaissance, use et abuse des artistes. François Ier, mieux que quiconque représente cette ambivalence royale. Ami des artistes et mécène, tout en s’assurant d’une fonction régalienne qui est celle de la maitrise des grands axes, il utilise les créateurs pour conférer un lustre à son règne, légitimant ses campagnes, occultant ses défaites et magnifiant ses victoires.

Ce faste culmine avec les plus grandes figures de notre Histoire. Cette tradition laissera des traces profondes. Il n’est point de grand souverain qui ne draine les richesses du Royaume vers l’architecture, les arts, tradition dont les Chefs d’Etat de la Ve République sont, partiellement, les héritiers au travers des grands équipements légués au fil des mandatures. Sous le Premier Empire, cette fonction culturelle est majeure. Elle vaut bien tous les communiqués de la Grande Armée.  

Sans doute la culture a-t-elle permis de normaliser les rapports sociaux en diffusant les codes de sociabilité, assurant cette pacification sociale qui a permis à la société française, comme au reste des sociétés européennes de vivre dans un climat apaisé, dont la puissance de l’Etat garantit la pérennité.

 Avec l’émergence du principe de souveraineté nationale, la culture perd cette fonction cultuelle monarchique, exclusive, pour devenir un moyen de renforcer ce principe collectif. Bien des écrivains, artistes, dramaturges se mettent au service du fait national, puis républicain. Ils s’engagent, pour le consacrer. Ces productions répondent à un besoin, une envie partagée. L’osmose est d’autant plus profonde que le « secteur culturel dominant », le lecteur pardonnera cette vilaine expression, prend fait et cause pour la cause républicaine. Hugo, Detaille, Lavisse, Seignobos, Renan, Bonnat tissent le réseau de cet engagement républicain. En Italie, Verdi incarne cette fusion entre création et projet politique. Le caractère libéral des régimes républicains permet, néanmoins, l’émergence d’un monde culturel sans prise avec la question politique. Et au-delà, l’engagement se vît bientôt contre le régime. D’autres artistes, créateurs s’engagent autour d’autres causes, dont, naturellement, le Mouvement ouvrier.  Mais la culture reste un projet de construction nationale, celle-ci se confondant avec la légitimation de la République.

Plus tard, bien plus tard, la République sanctifie cette relation avec la création du Ministère de la culture, dont la naissance ne doit pas à la seule volonté du Chef de l’Etat de donner du relief à son gouvernement en nommant André Malraux, Ministre. Les politiques culturelles sont un sujet vivant sous la Ve République. La décentralisation renforce les ambitions territoriales et l’action culturelle, que ce soit autour du patrimoine, du spectacle vivant, de la lecture publique ou des musées sont autant d’items fédérateurs. Sans doute est-ce aussi parce qu’elle renforce l’attractivité des territoires.

Pourtant, dans le même intervalle, la France s’est enfoncée dans une crise terrible. Un délitement du corps social, dont les soubresauts se manifestent par l’éclatement du pacte républicain, la désagrégation des relations, des tensions qui secouent les « quartiers », mais aussi les zones périurbaines et rurales. L’anomie guette. Pour la résoudre, il faudra des réponses économiques, un traitement sociale et que la « petite fée espérance », chère à notre vieux Péguy, vienne redonner de la chair au pacte social. Mais, il serait sans doute utile de s’interroger sur l’absence de toute ambition culturelle dans les projets politiques. Depuis une quinzaine d’années, la gestion de la rareté est devenue la règle. Cela s’entend. Pour autant faut-il sacrifier les projets à l’autel de notre ruine ? Sans doute pas. Nous avons, collectivement, besoin de conforter par et autour d’une envie culturelle nos rapports. Depuis la nuit des Temps, l’homme est confronté, comme le rappelle parfois l’art pariétal, à des questions universelles sur son destin, sa place dans l’univers, sur la mort et le sang. Il se questionne sur son libre-arbitre, ainsi que le souligne avec cynisme O’Brien, l’adversaire maléfique et prophétique de Winston, dans « 1984 ».

Faute de réponses profanes, faute de réponses collectives, c’est à d’autres imaginaires qu’à notre projet républicain que nos contemporains se soumettront. Alors, oui, il est temps que nos politiques s’engagent aussi à parler de la place de la culture, sur les politiques publiques qu’ils entendent soutenir, sur leur rapport à la création, aux publications, sur la diffusion, tout ce qui produit l’ensemble nommé « politiques culturelles ». On ne saurait durablement regretter « l’acivisme » de nos compatriotes sans relayer ce qui a fait la splendeur de la culture, au travers de nos pères lointains qui contemplaient, dans la nui grecque les constellations que nous contemplons encore aujourd’hui.

Sans faire preuve d’angélisme, de crédulité, sans soutenir des dépenses baroques ou fantaisistes, nous sommes en droit d’attendre un projet culturel cohérent qui sera aussi au service des territoires.                     

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