Opportunités, mutations et gouvernance politique… de Philippe le Bel à Emmanuel Macron.
Il règne un climat positif sur la France depuis quelques semaines et c’est heureux. Il est toujours bon que nos compatriotes considèrent avec moins d’appréhension, voire abordent avec résolution l’avenir. Pas seulement pour de bienveillantes raisons, mais aussi parce que la confiance est au cœur de la consommation, donc toutes choses égales par ailleurs, puisqu’il ne saurait y avoir de consommation sans production, de la croissance. Ce qui est bon pour les français reste bon pour la France. Nul ne sait, pourtant, aujourd’hui s’il s’agit d’un infléchissement, d’une parenthèse conjoncturelle, d’une prédiction « autoréalisée » ou d’une nouvelle séquence.
Naturellement, l’avenir dépendra du contexte international, des éléments macro et financiers, mais aussi de l’aptitude de la France, de son système productif à être agile, mobile et attractif. Pour autant, dans ce monde en mutation, une partie des termes de l’équation réside dans le système politique et sa capacité à accompagner, porter, faciliter ces évolutions. Prescripteur, normatif, consommateur en tant qu’investisseur et, parfois, capteur de richesses, l’Etat est et demeure cette armature posée par le temps sur la société qui lui permet de s’exprimer ou a contrario, parfois, peut l’étouffer. « L’impôt comprime »…pour prendre à revers les discours habituels, rappelons que c’est au pré-communiste, Eugène Pottier que nous devons ces paroles célèbres de l’Internationale. La question n’est pas seulement idéologique, car l’Etat intervient dans l’ordre du réel, n’en déplaisent aux Cassandres.
Malgré le déclin du politique, ressassé depuis tant d’années, celui-ci est une donnée constitutive qui interagit sur l’environnement économique. Oui, il y a eu affaiblissement de la conception traditionnelle du rôle de l’Etat, mais le sortir de l’Histoire, comme voulait le faire un Henri de Bodinat, relève de l’illusion. Pour cette raison, il convient encore et toujours d’anticiper, de deviner, de discerner la stratégie des acteurs politiques pour comprendre ce qui jaillira de leur effervescence. Nous l’avons dit et écrit depuis quelques mois, le système politique ancien s’effondre (cf. « Le canard enchainé, les artificiers de la République et le Monde qui vient»). Comme prévue, une page s’est tournée à la faveur des dernières élections présidentielles. Le nouveau chapitre a ouvert le champ à une révolution qui a mis fin au monde stable et ordonné de l’ordre bipolaire que nous avons connu. Les clivages se sont estompés. L’offre politique s’est restructurée. De nouveaux items se sont installés au cœur du débat, reléguant des questions qui nous semblaient essentielles à ses marges. Depuis trois semaines, il n’est plus question d’identité, de malheur, mais bien de réformes, de mobilité, de pacte social. La sémantique change.
Cette page a été tournée par la volonté d’un homme. Toutefois, il serait naïf de croire que cette volonté seule a été suffisante en elle-même. La société était non seulement prête à entendre certains messages, mais bien plus une partie de celle-ci ne se reconnaissant plus dans les mythologies et les imaginaires collectifs portés par les formations politiques de l’ordre ancien. Des forces telluriques, profondes, travaillaient déjà la société. Pourtant, nos anciens partis pas été en capacité de retraiter l’information. Le héros de l’élection a, lui, compris les nouvelles sociabilités issues de la transformation post-industrielle, les nouveaux réseaux, les attentes de l’opinion et de ce basculement vers une économie des services. Le Président incarne, au sens étymologique cette transformation de l’ordre productif, l’accompagne, plus qu’il n’a initié la transformation politique qui en découle. Il en est la conséquence mais s’est donnée pour mission de l’accompagner dans le réel.
Les premiers signes de cette transmutation, pour reprendre la vieille formule alchimique, sont visibles. Les frontières s’estompent. Les étiquettes ne comptent plus. Comme en mai-juin 1788, les clivages s’effondrent. Des élus de la Noblesse gagnent le Tiers-Etat. De nouveaux Mirabeau soutiennent cette bourgeoisie qui aspirait, déjà, à la transformation d’un ordre politique anachronique. Mais cette Révolution est encore inachevée. Loin s’en faut. Elle n’est pas finie. Le grand consensus n’est qu’une étape. Le chemin que nous empruntons est encore parsemé d’obstacles et d’épisodes qui vont défrayer la chronique. Nous assisterons dans les mois qui viennent à d’autres bouleversements qui auront pour objectif de résorber les féodalités qu’aime la France. La bataille du souverain contre les grands du Royaume n’en est qu’à ses prémisses. Il y aura des déçus qui peuvent être les vainqueurs d’aujourd’hui. Se déroulant en pleine période de transformations économiques et de basculement culturelle, cette lutte n’est pas sans rappeler celle de l’intransigeant Philippe le Bel, qui abstraction faite de sa propension faite aux manipulations monétaires et à une propension toute médiévale à la cruauté, ressemble à Emmanuel Macron, en ce sens que ce dernier affronte les mêmes écueils que son auguste prédécesseur. Face à lui les terres d‘Empire, fatigués autrefois par la lutte entre les guelfes et les gibelins. Des puissances spirituelles qui s’affrontent. Mais surtout les pesanteurs de cette société d’ordre. Des vassaux contestant l’autorité royale. Et nos industrieux boutiquiers prompts à la revendication. Des privilèges invisibles et de petites citadelles aux portes du royaume capétien. Et parmi ces récifs dangereux, le petit roi de France du XIVe siècle poussera son vaisseau pour poser les fondements de la puissance française en jouant des rapports de force politique et économique. Comparaison n’est pas raison, et ce d’autant plus que le souverainisme est devenu l’adversaire, ça n’est pour le côté esthétique que je reviens sur celui à qui Michelet a consacré des pages d’anthologie. Il s’agit bien de questions de fonds et de gouvernance. En effet, pour mener à bien sa révolution jusqu’à son terme, Philippe le Bel a su modifier radicalement les paradigmes gouvernementaux. Et il est probable que le 8e Président de la République trouvera des solutions assez proches…
Ainsi, si le fait démocratique l’a installé en fonction, il devra forcer l’avantage pour asseoir un système politique compatible à ses ambitions. Inéluctablement, pour conforter son autorité et sa légitimité, il devra faire fi des petites concessions qu’il a accordées au monde ancien. De même que le parti se renforce en s’épurant, on peut dire sans risque que la gouvernance actuelle, de transition, a une forme qui prendra fin dans quelques temps. Il dispose déjà de ses Nogaret et Marigni. Il devra les installer pleinement et renouveler les représentations politiques. Toutefois, il a, hélas, encore dans ses chaussures de petits cailloux dont il devra se défaire. La Révolution consume souvent ses anciennes idoles. Il les brûlera sur l’autel du progrès et de la nécessité d’être conforme à ses promesses et des attentes des français pour établir son pouvoir et lui donner toute cette dimension « jupitérienne » à laquelle il aspire. La compétence technique et l’aptitude à porter la réforme seront privilégiées au détriment du poids électoral des acteurs, qui se décôte chaque jour. De même qu’une classe politique a disparu, balayé par la tourmente (et ce même si les médias n’en ont pas encore tiré les enseignements au travers de leurs invitations), une nouvelle s’invite. Les loyautés et les fidélités de campagne ne seront plus utiles en temps de paix. Les commis trouveront leur espace naturel. Mais quelques féaux y perdront leurs places. C’est dans l’ordre des choses. L’enjeu sera également celui de l’influence. Pour se pérenniser, il lui sera nécessaire de contenir les débats dans les espaces fertiles où il peut s’exprimer. Si « la libération du langage est le langage de la libération », comme l’écrivait De Certeau, après la conquête vient le temps du monopole et de la domination. Pour remporter la bataille des idées, encore faut-il maîtriser le terrain. C’est pourquoi, il devra maitriser l’espace d’expression du débat en amenant l’adversaire à commenter son action, pour lui faire perdre la main. Nous allons devant quelques convulsions politiques. Tout est question de calendrier. Celles-ci nous permettront d’apprécier si nous allons vers ces fameuses réformes structurelles, ou si tout ceci n’est qu’illusion. « Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change ».
La France semble être gagnée par une forme de bienveillance. La chaleur de cette fin de mai ne l’ennuie pas. Pas résignée, ni soumise, elle observe. Elle sera vigilante. Pour que le processus de transformation porte à croissance les fruits que l’on devine, il faudra être juste et équitable. Sinon, les moissons de la colère seront fructueuses. Car, pour revenir à Philippe, la France est comme le « Lion couronné de Gand, endormi aux genoux de la Vierge- qui- dormait mal et s’éveillait souvent ». En l’oubliant, le roi de France se mît à dos, cette bourgeoisie laborieuse et travailleuse des Flandres qui lui infligea une de ses plus sévères défaites, décapitant la fine fleur de la noblesse lors de la bataille de Courtrai et l’exposant à bien des soucis. La France assoupie observe. Elle jugera sans doute le nouveau pouvoir a sa capacité à ordonner l’ordre politique.