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Billet de blog 31 mai 2017

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Quelques réflexions sur l'Assemblée qui vient

L’entrée de LREM au sein de l’Hémicyle exprime des ruptures socio-économiques, invisibles dans les représentations. Les parcours des candidats dévoilent ces changements, restés jusqu’à présent au niveau des signaux de basse intensité.

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La XVe Législature de la Ve République se distinguera profondément des précédentes. En effet, sa composition sera remaniée d’une manière rarement connue, non seulement en nombre mais aussi en qualité, par des origines et des parcours différents, tant en raison des résultats électoraux probables que des conséquences des dispositions issus de la réforme du non-cumul des mandats.

Le premier enseignement à retirer de cette élection est qu’elle marquera un renouvellement profond des députés. Il s’agit d’un constat. Trente-cinq pour cent des sortants ne se représentent pas, sans compter ceux qui seront battus en raison de l’irruption d’une nouvelle force et de la polarisation politique aux marges du système parlemrntaire précédent.  

Ce deuxième point constitue une autre caractéristique majeure de la législature. La structure bipolaire de l’AN, structurée autour des deux grands partis, avec quelques satellites gravitant autour, va disparaitre avec un nouvel ordonnancement de l’espace politique autour d’un centre fédérant, drainant à lui un certain nombre de valeurs qui fixeront le tempo. Souverainisme contre ouverture européenne, protectionnisme contre liberté de circulation des biens, réforme du cadre socio-économique contre maintien du cadre normatif... La vie politique va s’organiser autour de l’association de plusieurs acteurs sur ces questions, puis leur division facilitant la coopération, ou clivant l’Assemblée. Devenu multipolaire, avec un pôle central ordonnant l’espace politique,  le dialogue au sein de l’Assemblée se fera par une succession de regroupements ou de confrontations des différents blocs, alternant les soutiens ou les refus, autour de ces projets/propositions de lois. A l’affrontement statique de deux blocs, succède une conception dynamique et fluide du débat parlementaire qui le rendra plus imprévisible. Le grand camp central aura le monopole d’un certain nombre de thèmes obligeant les forces issues des législatures à lui apporter ou lui refuser son soutien, tandis qu’aux marges de l’Empire graviteront des groupes ou des monades en porte-à-faux sur l’essentiel de ces thèmes. La gestion même des débats va être rendue plus complexe, conférant un lustre particulier au Président de cette prestigieuse Assemblée. Les acteurs pourront coopérer ou s’affronter, alternativement, mais avec, au vu des sondages, l’existence d’un bloc central réformateur. Si la politique découle d’une critérisation entre les amis et les ennemis, le monopole du progrès va rendre compliqué la tâche des anciens partis acteurs dominants qui devront se positionner graduellement, au risque de perdre en clarté dans leur opposition. L’Assemblée sera un grand dégradé de couleurs allant d’un centre massif jusqu’à la périphérie.   

Paradoxalement, alors que celle-ci s’annonce ouverte, son travail sera vraisemblablement réduit par le recours aux lois d’habilitation, déjà fréquent sous la dernière mandature. Il devrait probablement se multiplier pour contourner les écueils de la procédure parlementaire. Il s’agit là de la 3e caractéristique possible de cette mandature. Il est à noter que le recours à cette technique d’action risque de priver les acteurs de la société civile de leurs relais d’influence politique, favorisant ainsi  une cristallisation de la contestation en dehors de la sphère politique organisée, faisant courir un risque à la sérénité de la prise de décision. La séquence qui s’ouvre pourrait être marquée par l’émergence de nouveaux contre-pouvoirs relevant du champ des partenaires sociaux, lors du traitement de sujets économiques et sociaux, à l’instar de ce qui a été observé lors de l’examen de la loi Travail.   

Toujours est-il que le renouvellement de la Représentation nationale témoigne non seulement de l’implosion du système politique antérieur, mais dévoile une évolution de la société française travaillée par l’émergence de problématiques, qui prennent une place solide dans l’Hémicyle. Il est à noter que l’Assemblée nationale va se trouver une nouvelle fois en opposition à un Sénat qui va conserver un antagonisme bipolaire puisque sa structure évolue doucement, le glissement procédant d’abord des évolutions des élections locales. Cette question du décalage entre la révolution politique en cours et le Sénat pose une nouvelle fois la question de l’ordre politique : les élus de la LREM doivent-ils se regrouper dans les exécutifs locaux, au risque de désordonner leur bon fonctionnement, mais assurant des relais territoriaux, voire permettant au travers des grands électeurs l’avènement de sénateurs « LREM » ou bien le rythme politique national fera-t-il  abstraction des questions locales ?          

L’entrée de LREM au sein de l’Hémicyle exprime des ruptures socio-économiques, invisibles dans les représentations. Les parcours des candidats dévoilent ces changements, restés jusqu’à présent au niveau des signaux de basse intensité. En effet, au-delà de l’effet d’aubaine, de l’opportunisme de certaines candidatures, les parcours des candidats qu’ils soient élus ou qu’ils ne le soient pas, dévoilent des ruptures que l’ordre politique institué n’avait pas pris en compte. Un dépouillement d’une centaine de biographies, prises au hasard, permet de distinguer quelques caractéristiques de l’AN qui vient.  

Ainsi, on devine une acuité aux questions socio-économiques au prisme de la société post-moderne et de l’économie des services. Les professions libérales classiques (avocats, médecins…) sont peu nombreuses, de même que les fonctionnaires. Ces derniers, surtout pour ceux issus des grands corps sont jeunes et ont eu des ruptures de parcours, sans le cursus honorum classique. L’Assemblée n’est plus un aboutissement, mais une rupture. Les formations scolaires sont solides (en particulier dans les Métropoles). Les candidats investis semblent être des acteurs de la transition de l’économie, sans être toujours les grands gagnants. Les titulaires de mandats, actuels ou achevés, sont des acteurs agiles et mobiles. Ils sont sans doute davantage fidèles à des convictions ou des représentations personnelles qu’à des appareils pyramidaux.  Derrière certaines situations, et les variations partisanes, on devine tout de même parfois de l’opportunisme. Certes, comme on pouvait s’y attendre un nombre significatif de candidats sont issus de l’économie numérique, mais d’autres sont des opérateurs ouverts sur l’Economie-Monde dans ses différentes composantes (entreprises internationales, acteurs locaux ouverts sur le marché international, dont la filière agro-alimentaire). Les éternels chargés des relations institutionnelles, profession se situant aux confins du politique et de l’économique, sont représentées, mais elles concernent l’économie des services et pas celle de la production de l’ère industrielle, posant clairement la question des nouvelles notabilités et des réseaux d’influence. Toutefois, ces candidatures ne corroborent pas l’intention affichée de représenter toute la société française. La classe ouvrière, le secteur médico-social, les employés sont absents du panel analysé. En ce sens, « LREM » restent conforme aux autres formations politiques. Loi d’airain des oligarchies ?              

Mon hypothèse est que « LREM » répond non seulement à une volonté de renouvellement éthique, mais aussi à des attentes sociétales que l’offre politique ancienne n’arrivait pas à retraiter, ou n’intégrait pas dans son logiciel. En ce sens, « LREM » accompagne l’évolution du mode productif, la transition vers une économie de service, plus qu’elle ne l’initie. La faiblesse possible de « LREM » sera sans doute de pouvoir recycler l’ensemble des autres questionnements ouverts  transitions de la société française (dont le vieillissement, les questions identitaires) avec des acteurs plus investis par des questions d’ordre économique et social. Cette analyse rapide mériterait d’être croisée avec les circonscriptions gagnables. Elle ne prendra tout son sens que dans trois semaines.

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