Homme de gauche, homme du Nord…les deux liés — dans mon souvenir, car il avait quitté la scène politique depuis si longtemps…Homme de gauche, socialiste de ce Nord où les réunions de section finissent encore par l'Internationale, avec le poing levé. Quand un collaborateur arrivait en retard à un de ses discours et demandait où on en était, il s'entendait répondre avec accablement que les ouvriers venaient juste de tomber ensanglantés au pied des machines, et que le peuple insurgé se dirigeait vers le château avec des piques et des fourches…
Pierre Mauroy a tout vécu de l'histoire de la gauche depuis 35 ans : l'espérance, le combat, la difficulté, la désillusion, les sursauts, les défaites, les compromissions. Avec lui s'en va le Programme Commun, dont on oublie qu'il n'était rien moins que l'aboutissement à une société sans classe par la voie des urnes…Avec lui s'en va la soirée de la Bastille sous l'orage, les larmes de joie, la rose sur la tombe de Jaurès, les ministres barbus et sans cravate…
Pierre Mauroy était un homme de courage et de fidélité. Déjà atteint de son cancer du poumon, il avait choisi il y a un peu plus d'un an son opération, non pas dans l'intérêt de sa santé, mais pour pouvoir assister à la prise de fonctions du premier Président de la République socialiste depuis Miterrand. Je n'oublierai jamais que la racaille sarkosyste, insuffisamment rassasiée d'inconvenances en cinq ans, a alors sifflé et hué le vieil homme qui s'avançait bien droit, en traînant la jambe.
Je veux me souvenir de Pierre Mauroy le soir du 10 mai 1981, sur les plateaux de télévision, où, heureuse ou malheureuse, régnait la sidération. Immense, jovial, bonhomme, ouvrant, à l'en croire, toutes les portes du possible, il demeure associé à une des plus belles soirées de notre vie.
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