Pour mon anniversaire, mon ami Denis Lamour, dont je vous recommande le blog sur ce site (au passage, tu pourrais me rendre visite sur le mien de temps en temps, mon salaud…) m'a envoyé la vidéo ci-dessus en me disant qu'elle me ferait rajeunir à toute vitesse.
Effectivement.
La rencontre date de 35 ans. Un professeur comme on n'en croise pas beaucoup dans une vie. A Caen, en Lettres Supérieures dans les années 70, elle effarait les petits provinciaux que nous étions par sa coquetterie parisienne, qui faisait qu'on lui voyait rarement deux fois la même tenue, par un mélange de militantisme intransigeant et de mondanité intellectuelle qu'on n'appelait pas encore le mitterrandisme…Avec elle, nous n'entrions jamais en cours : nous entrions en lecture , et la sonnerie de fin de classe nous dérangeait comme une incongruité. Tant d'années après, un texte travaillé avec elle et rencontré dans un classique nous avertit dès les premières lignes : de nouveau, nous entrons en eau profonde. Et je me souviens avoir imité pendant des années dans mon métier (enfin…dans mes meilleurs moments…) ses méthodes, ses gestes, ses tics, et jusqu'à ses colères.
Elle était dure ; avec elle, on avait intérêt à être brillant, et souvent, nous n'en pouvions mais…elle nous a ainsi accouchés au forceps de tout ce que nous pouvions donner.
Elle était fragile, aussi ; une porte qui claquait, un éclat de voix trop fort lui faisait virer la prunelle. Elle ne nous avait pas caché que cette fragilité, qui pouvait aller jusqu'à la syncope profonde devant des films trop impressionnants, remontait à son statut d'enfant juive sous l'occupation et à la persécution nazie — sans nous en dire plus. De loin, j'ai un peu observé son parcours par la suite : conseillère du Président (inutile de préciser lequel), Inspectrice Générale, je crois, puis directrice de la maison d'Izieu.
Elle nous livre ici enfin le secret : une petite fille juive s'est entendu dire un jour à la sortie de l'école que ses parents étaient partis en voyage. Ils ne sont jamais revenus. Des lettres du père, avant le départ sans retour, ont pu être transmises.
Regarder cette vidéo, c'est comprendre un peu la fascination qu'elle exerçait sur nous. C'est aussi, pour moi, assister à l'ultime leçon — d'où sont issues, paradoxalement, toutes celles qui ont précédé.
Une pointe d'agacement, tout de même; comment a t-elle fait, elle, pour ne pas vieillir ?
Merci pour tout, Madame.