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Billet de blog 23 mai 2014

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OGM, une situation enfin clarifiée

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l'heure où l'État français tente de faire appliquer des décisions politiques conformes à ses options agricoles et aux vœux des Français, une clarification de la situation vient d'être apportée par les réponses de l'autorité européenne de sécurité alimentaire (AESA ou EFSA) aux questions du GIET1 et de FNE2.

Autoriser la culture du maïs transgénique MON810 actuellement en France impliquerait de mettre en place les dispositifs de séparation des filières entre OGM et non OGM, les contrôles etc. Les coûts de ces opérations n'ont pas été chiffrés, mais ils seront payés par les consommateurs et les contribuables et il est probable qu'ils soient importants. Les filières « sans OGM » pour l'alimentation animale sont très fragiles, car étant très minoritaires, les coûts pour leur maintien sont plus élevés que pour la filière « OGM », d'où une concurrence déloyale en faveur des OGM. Actuellement, le maïs français est sans OGM. Si cela change, il faudra, en plus, certifier le maïs comme le soja, d'où un surcoût encore plus important pour les filières animales « sans OGM », ce qui en signerait probablement la fin. Et ainsi de suite, car les impacts, directs ou indirects, de l'introduction de cultures d'OGM sont foison et généralement peu conformes avec les options politiques du gouvernement français en matière d'agriculture. Or, il est interdit, par les règlements européens et l'OMC, pour l'Union Européenne et ses États-Membres, de fonder des décisions en matière d'OGM sur autre chose que des considérations techniques ! Pour interdire un OGM, il faut justifier de preuves scientifiques nouvelles de la nocivité pour la santé ou l'environnement, rien d'autre n'est recevable. La technocratie s'installe insidieusement dans le monde, orchestrée par les principales multinationales, au détriment du politique et de la démocratie, avec, en perspective, l'achèvement de ce processus par l'accord commercial trans-atlantique (TAFTA ou TTIP ou autre dénomination), en cours de finalisation dans la plus grande opacité.

Cette obligation de se baser sur des preuves scientifiques pour interdire un OGM est d'autant plus grotesque que ce qui est exigé des États-Membres ne l'est pas au niveau de la Commission Européenne, qui justifie ses autorisations de mise sur le marché d'OGM par des arguments largement non scientifiques ! Deux poids, deux mesures, donc, iniquité qui se retrouve dans tous les domaines concernant les OGM, depuis la culture en champs (la surcharge économique revient essentiellement à celui qui veut se prémunir des OGM et le certifier) jusqu'aux publications académiques, comme l'a montré Inf'OGM3 notamment.

La base des études fournies (par l'industrie elle-même, rappelons-le au passage) dans un dossier de demande d'autorisation d'OGM consiste à comparer deux groupes : le groupe « essai », qui concerne l'OGM et le groupe « témoin », qui concerne la même plante4 que l'OGM, mais sans le transgène. Par exemple, on comparera la composition chimique d'un maïs GM avec celle du même maïs non génétiquement modifié, ou on comparera un groupe de rats nourris avec du maïs GM avec un groupe de rats nourris avec le maïs témoin etc., la comparaison portant sur divers paramètres comme le poids de animaux et de organes, les taux sanguins de sucre, d'urée, d'enzymes ou autres.

Comme tous ces paramètres sont naturellement variables d'un individu à l'autre et d'un moment à l'autre, il ne suffit pas qu'une différence soit observée, il faut aussi qu'elle soit statistiquement significative, c'est à dire qu'il soit improbable qu'elle soit le reflet de fluctuations aléatoires. Les statistiques ont mauvaise presse, car on peut leur faire dire ce qu'on veut si on ne respecte pas rigoureusement les règles de leur usage5. L'ignorance de ces règles, y compris par de nombreux scientifiques qui les utilisent, est propice à tous les abus, le domaine des OGM n'en étant qu'un exemple.

Lorsqu'on recherche une différence entre deux groupes, soit on la retrouve et alors, la différence a été vue (il reste ensuite à l'interpréter), soit on ne la retrouve pas. C'est ce dernier cas qui est le plus intéressant, car la conclusion recherchée par les pétitionnaires est qu'il n'y a pas de différence entre son OGM et la plante conventionnelle correspondante. Mais quelle est la portée d'un résultat négatif ?

Si, dans une pièce, nous regardons tout autour de nous et déclarons que nous ne voyons pas d'éléphant, nous avons assez confiance dans l'extension de cette conclusion à : « il n'y a pas d'éléphant dans cette pièce », même si, en toute rigueur, une absence ne peut être démontrée. Si, dans les mêmes conditions, nous déclarons n'avoir pas vu de fourmi, l'extension à « il n'y a pas de fourmi » n'est pas très convaincante. Si maintenant nous affirmons n'avoir pas vu de bactérie... La portée d'un résultat négatif lors d'une comparaison dépend de l'adéquation entre les moyens mis en œuvre pour « voir » et la taille minimale de ce qu'on veut détecter. Pour reprendre l'image précédente, il faut prendre des instruments plus puissants pour voir quelque chose de petit et pour que l'observation ait une valeur, il faut montrer qu'on est bien en mesure de détecter ce qu'on cherche. Pour ce qui est des comparaisons du type de celles effectuées pour les OGM, il convient d'abord de dire quelle valeur de différence on veut être capable de détecter (et idéalement, pourquoi on a choisi cette valeur) et ensuite, en fonction de la variabilité naturelle du paramètre étudié et du nombre de sujets comparés, calculer la puissance statistique. Si cette puissance et insuffisante pour raisonnablement pouvoir détecter ce qu'on cherche, le test ne peut être considéré comme informatif.

Afin que tout soit bien clair et pour ne pas laisser prise à un débat d'experts, le GIET et FNE ont posé deux questions à l'AESA, qui est chargée, au niveau européen, de donner des avis sur les dossiers d'autorisation d'OGM. La première était énoncée ainsi :

« Lors d'un test de comparaison de moyennes (test de différence), un résultat négatif (pas de différence significative) ne peut être pris en considération que s'il est accompagné d'un calcul de puissance montrant que cette dernière est au moins supérieure à 80% et que la taille minimale de l'effet à détecter, s'il existe, est spécifié et justifié.

L'AESA est elle d'accord avec cette proposition? »

Pour une fois, l'AESA n'a pas cherché à noyer le poisson et la réponse a été, simplement et sans ambiguïté : « OUI ». L'AESA est bien d'accord avec nous.

Le second point concernant les statistiques et leur interprétation est lui aussi très important. Beaucoup de conclusions formulées par les pétitionnaires affirment une équivalence : équivalence de la composition chimique de l'OGM et du témoin (équivalence en substance), équivalence nutritionnelle, équivalence des groupes de rats dans les tests de toxicologie etc. On lit, dans les dossiers, que l'OGM testé est « aussi sain et aussi nutritif que son correspondant conventionnel ». Or, une absence de différence constatée, même si l'étude était faite avec une puissance suffisante, ne permet pas pour autant d'affirmer une équivalence, de même qu'une absence de preuve n'est pas une preuve d'absence. Pour établir scientifiquement une équivalence des paramètres étudiés (et jamais du maïs complet!) il faut avoir fait un test d'équivalence et pas seulement un test de différence. C'est un peu technique, ce qu'il faut savoir, c'est qu'un tel test nécessite un protocole expérimental et des analyses particuliers. Seconde question posée à l'AESA :

« Une conclusion d'équivalence entre deux échantillons (par exemple: maïs OGM versus maïs conventionnel) ne peut être portée que si un test d'équivalence a été pratiqué (hypothèse nulle: les échantillons sont différents). Dans ces cas, l'équivalence démontrée ne concerne que les paramètres testés et ne peut être généralisée au-delà.

L'AESA est-elle d'accord avec cette proposition? »

Et là encore, l'AESA, laconiquement, mais très clairement, a répondu « OUI ».

Nous en arrivons donc à une conclusion fondamentale concernant les autorisations d'OGM : du fait qu'AUCUN dossier ne comporte, pour AUCUN test, de calcul de puissance statistique et qu'AUCUN dossier, pour AUCUN paramètre, ne comporte de test d'équivalence, AUCUNE des conclusions essentielles de ces dossiers (équivalence en substance, équivalence nutritionnelle, innocuité etc.) ne sont recevables et ceci de l'avis même de l'instance d'expertise européenne... qui a validé ces dossiers.

La situation est maintenant limpide. Que ceux qui veulent faire expertiser les arguments scientifiques produits par l'État français pour interdire le MON810 sur le territoire national, commence par interroger la validité scientifique des autorisations d'OGM. Il est temps de mettre un terme à cette mascarade organisée à tous les niveaux par l'industrie pour son propre profit et ouvrir enfin, au niveau européen, le champ de la décision politique aux espaces qui la concernent.

Dr. Frédéric Jacquemart

président du GIET

1Groupe International d'Études Transdisciplinaires.

2France Nature Environnement.

3Voir, par exemple : « Innocuité des OGM : aucune étude ne permet scientifiquement de conclure » Inf'OGM n°128 mai-juin 2014.

4Actuellement, seules des plantes GM ont été autorisées en UE pour une dissémination en milieu ouvert.

5On trouvera de beaux exemples de tels détournements dans les dossiers d'OGM dans « Expertise des OGM : l'évaluation tourne le dos à la science » (http://www.infogm.org/spip.php?article5238)

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