2015, année maudite s'il en est, année charnière durant laquelle le vivre-ensemble n'a jamais été autant en danger. Pourquoi ne pas la revisiter mais, à travers des messages d'espoir inventifs et spirituels (c'est aussi cela la France, heureusement) ? C'est ce que propose le street-artist Combo via une exhibition à l'Institut du Monde Arabe mais également - pour ceux qui ne peuvent s'y rendre - sur son site et son livre 'Coexist'.
Le street-art est devenu, à travers les pochoirs, les graffitis, les collages, une véritable langue urbaine. Un exutoire artistique et temporaire à travers lequel les passions, les rages et les espoirs de la cité transparaissent. En 2015, année horribilis au possible, les murs de la ville ont forcément été peints de désespoir mais aussi d'optimisme guerrier et de rappels bienvenus de ce que devraient être et rester nos valeurs intangibles (y a du boulot). Comment aurait-il pu en être autrement ?
Parfois, les artistes les plus pertinents se retrouvent en galeries, aspirés par un système qui, lui, veut toujours mettre un prix sur tout. Compréhensible du point de vue du créateur : vivre de son travail est l'espoir de chacun. Mais, ceux qui acceptent de devenir cotés perdent dès lors beaucoup de leur attrait. Et puis, le star-system comme seul horizon, encore et encore, la renommée et la vanité inhérente font oublier que l'Art n'est pas (ne doit pas être) une compétition. Que celui de la rue, par pitié, garde sa fraîcheur, sa colère et sa spontanéité !
L'exposition de Combo à l'Institut du Monde Arabe apparaît donc, elle, comme très intelligente tant par les œuvres exposées qui résument une année difficile que par le lieu choisi pour accrocher les toiles. Quel meilleur endroit alors que les amalgames s'enchaînent, que la défiance entre Français s'installe et que le pouvoir se risque à ouvrir la boîte de Pandore de la nationalité ? Quel écrin plus symbolique que ce magnifique musée dédié à la connaissance des cultures ? En déambulant parmi ses collages ironiques et soignés, on sourit devant beaucoup, on est touché et, aussi, on s'arrête gravement devant certains. Un homme en djellaba (Combo lui-même) enlace un autre qui porte une kippa, lui. 'Love is blind and religion can blind us'. Alors que nos maux sociaux sont projetés par beaucoup de têtes de linotte sur le conflit israélo-palestinien, aiguisant haines irrationnelles et boucs-émissaires réciproques (Israël comme la Palestine, à aucune des deux cela ne sert), alors que la Manif pour Tous a libéré une parole homophobe incroyable et a laissé de sévères traces dans les esprits, alors que Voltaire paraît oublié de tous et que les religions empiètent plus que jamais sur notre destin commun : en une image et une phrase, Combo apaise et rappelle à l'ordre.
Un peu plus loin, un 'Jedi de Tataouine' fait face à un 'Return of the Jewdi', chandelier-laser en main : alors que certains n'osent même plus parler des confessions, marchant constamment sur des œufs, oubliant que si la laïcité doit se montrer intraitable avec ceux qui la menacent, elle ne signifie pas pour autant refoulement de ce qu'on est, l'artiste fait sourire en mêlant les codes du mastodonte hollywoodien avec ceux, respectables en tant que tels bien entendu, des religions.
Un excité brandissant une croix sur le style croisade est accompagné d'un inquiétant 'Holy Wars' (les guerres saintes). Il est vrai que les intégristes du goupillon ont bien repris confiance cette année. De paire avec les autres agités des Livres. Avortement, homosexualité, 'souches pures et millénaires' (sic) : rien ne nous aura été épargné, niveau imbécilités et bouillie intellectuelle.
À l'entrée, un 'COEXIST' géant, mêlant les symboles des trois religions monothéistes. Ce même collage qui a valu à l'artiste de se faire bastonner dans les rues de Paris. Pour certains, appeler à l'apaisement semble devenu un outrage. C'est pas gagné.
Une 'Jeanne de Paname', également. Qui reprend et tourne en dérision les rabâchages identitaires des 'souchistes'. Cette fresque sur un mur du XIème arrondissement a d'ailleurs été vandalisée à peine achevée. Pauvre Jeanne d'Arc : elle ne méritait pas d'être ainsi kidnappée par la frange la plus intolérante de la population. Celle-ci prétend incarner la 'France Éternelle' (entendez 'd'avant 1789' ou au moins 'd'avant la République', sa véritable ennemie). Elle ne représente que la haine et la discorde.
Émotion devant une toile géante : des réfugiés en pleine mer; un homme se noie. 2015, ça a été cela aussi et, ça continue. Pendant que beaucoup pérorent sur l'accueil ou pas de gens fuyant la mort, des hommes, des femmes et... des enfants se noient à nos portes.
Une autre salle, sombre. Des colonnes. Sur chacune, des portraits photographiques de visages. Tous les sexes, tous les âges, toutes les couleurs. La France. Faite de particulier alors que certains prétentieux veulent la résumer au général. Des lampes-torche pour détailler les traits. Ça raconte une histoire, les traits de chacun. On a tous tendance à l'oublier, ne regardant plus qui nous croisons; les caricaturant selon leurs habits, leur pilosité même, à présent. Alors, en visitant cette exposition, on est à la fois charmé par la maitrise artistique et le vent optimiste qu'il fait souffler. Mais, on est triste aussi en réalisant, alors que des fous nous attaquent, à quel point nous sommes désunis.
Rappeler ce qui fait notre force : la tolérance, l'intelligence, la diversité et nos valeurs communes, voilà un projet qui mérite respect pour ce jeune artiste. Avouez qu'en ce moment, un tel discours devient rare. Pourtant, l'après-Charlie et l'après-13 novembre devraient plus que jamais nous pousser à réfléchir à ce qui nous unit. Et non à ce qui nous différencie.
- exposition 'Coexist' de Combo Culture Kidnapper à l'Institut du Monde Arabe du 7 janvier au 6 mars 2016
- pour ceux qui ne peuvent s'y rendre, son livre 'Coexist' en pré-commande : ici
-Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà (puisque rien ne se passe comme prévu)' aux ed. du Net
& de - 'Pierre Guerot & I', aux ed. H&O, en collaboration avec le comédien Pierre Guerot
(sur FB billets Culture: ici)