Environ 4000 personnes viennent de défiler à Lannion (Bretagne) contre le démarrage des opérations d'extraction de sable par la société Roullier, en pleine nuit ("des méthodes de voyou !" selon les manifestants), au milieu de la baie, alors que le recours visant à contrer la récente autorisation accordée à l'entreprise n'a pas encore été étudié. Mme Royal, ministre de l'Environnement, de s'en offusquer publiquement. Mr Macron, ancien ministre de l'Economie (et désormais probable candidat à la Présidentielle), d'en appeler à un moratoire jusqu'à la décision finale de la Justice.
Le cynisme et la tartufferie ne connaîssent donc, en politique, aucune limite. À moins que les convictions de nos dirigeants, telles les marées...
Car pour qui l'ignore, l'autorisation à été signée par un certain... Macron Emmanuel, alors ministre adulé.
Et ce malgré l'opposition des habitants, des élus locaux, des professionnels de la pêche, de ceux du tourisme, des protecteurs de l'environnement.
Mme Royal, elle, malgré de nombreuses interpellations, n'a jamais - avant ou après la signature - daigné prendre position. Aux abonnées absentes. "No entendo ¿ De que ? C'est où Lannion ?"
Le puissant et ambitieux ministre sorti du gouvernement, les médias nationaux s'intéressant enfin (!) au sujet, et la colère locale ne redescendant pas, Mme Royal retrouve de la voix et son refrain favori : "je n'y suis pour rien, c'est lui ! Mais, je suis de tout cœur avec vous !" Merci madame, ça c'est de l'efficacité.
Pour ceux qui découvrent ce véritable scandale écologique, une synthèse.
Il existe dans le monde trois côtes de granit rose : en Corse, en Chine et en Bretagne. En plus de cette particularité géologique fascinante qui attire les touristes, les trois abritent une faune et une flore exceptionnelles. La protection de ces trésors naturels a toujours fait consensus, quels que soient les pouvoirs saisonniers. Malheureusement, le libéralisme échevelé poursuit son œuvre, sous couvert de 'modernisme' (ah, qu'il est utile ce mot...) et 'd'encouragement aux entreprises' (entendre 'multinationales'). Si la Corse et la Chinoise sont encore intactes aux dernières nouvelles, la Bretonne, elle, voit ses promesses de pérennité s'éloigner.
La Compagnie Armoricaine de Navigation (CAN), propriété du groupe de recherche alimentaire Roullier (3,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2011), a obtenu du ministre Macron le permis d'extraire annuellement 250.000m3 de sable, à 5kms des côtes armoricaines, et ce sur une durée de 15 ans. Rappelons que la nature se fiche des m3 autorisées. La dune sera détruite ou pas. Avec les conséquences inhérentes.
Des années que le groupe tentait, à grands renforts de lobbying, d'obtenir cette autorisation ministérielle, cette "concession de sables calcaires coquilliers portant sur les fonds marins du domaine public maritime au large des côtes des départements du Finistère et des Côtes-d'Armor" (dixit le décret paru le mercredi 16 septembre 2015 au Journal Officiel) et ce, malgré la levée unanime de boucliers : de la part de la population (7000 manifestants à Lannion le 8 juin 2015 lors de la venue du ministre), des élus, des professionnels de la pêche, des associations.
Aberration politique, scandale écologique, non-sens industriel hurlent-ils en chœur, relayés jusqu'ici uniquement par les journaux régionaux tels Le Télégramme et Ouest France, ainsi que des sites environnementaux confidentiels (qui s'intéresse aux bigorneaux ?)
Car le lieu d'extraction se situe sur une dune coquillère, soit le cœur même de l'écosystème régional ! Les bars, les lieus et autres poissons nobles se nourrissent des habitants de la dune sous-marine, en particulier des lançons. À quelques kilomètres, la fameuse réserve naturelle des 7 Îles abritant les oiseaux marins qui, eux, se nourrissent des chaînons précédents. Cette dune est d’ailleurs située juste entre deux zones Natura 2000. La turbidité induite par l’extraction, l’impact sur les courants et le dégraissement des plages entraineront des dégradations irréversibles sur cette côte qui est une des plus belles de Bretagne, entre Trébeurden, Ploumanachet Perros Guirec. Quant à l'impact économique sur les pêcheurs et les professionnels du tourisme....
Une pétition lancée par une association de défense a connu un beau succès mais, pas suffisant pour empêcher le paraphe final du préfet (forcément, si ministre dit...)
Une première décision de Justice a validé la concession. Dont acte. Recours a été légitimement déposé et pas encore examiné par le tribunal (que Mme Royal se targue d'appuyer aujourd'hui - ça ne mange pas de pain). Ce qui n'a pas empêché l'entreprise Roullier d'envoyer ses premiers bateaux escamoter, de nuit, la précieuse dune, pierre angulaire de tout l'écosystème régional.
Que dire, sinon s'en remettre à la prochaine décision de Justice ? Peut-être tout de même pointer le double jeu de Mr Macron et de Mme Royal. L'épuisant gouffre entre la com' politique et les décisions réelles (voire l'absence de réactions) qui condamnent de fait une région et un écosystème fragile, sans concertation et en contradiction totale avec les discours officiels.
L'ambitieux ancien ministre qui veut 'libérer les Forces Vives' (sic), jamais élu, hors-sol revendiqué - on avait remarqué, merci - de prôner la confiance dans le sens de la responsabilité des entreprises 'libérées'. Bel exemple concret...
Quant à Mme Royal, après avoir pointé du doigt Mr Valls sur le dossier des Boues Rouges en Méditerranée, la voici qui se défausse sur Mr Macron. Légitimement, on peut se demander quel est son pouvoir concret, sinon celui d'essuyer médiatiquement les larmes des citoyens floués au lieu de croiser le fer en temps voulu avec ses collègues opportunistes.
J'avais moi-même proposé un billet alarmiste aux grands journaux, avant la signature préfectorale. Beaucoup de répondre : "Le sujet est trop local." Le Télégramme de le publier finalement. Dans une indifférence quasi-générale - il est vrai que la COP21 approchait alors et que chacun voulait se persuader des convictions écologistes de ce gouvernement.
Ma foi, Lannion pour preuve, les seules convictions qui me sautent aux yeux sont celles de marchands de sable. Dans les deux sens du terme.
Est-il trop tard ? Le risque est grand. Et les citoyens bien endormis face à ces décisions brutales (extraction de sable, Boues Rouges, aéroport Notre-Dame-des-Landes, etc...) qui saccagent leurs lieux de vie. Pendant que Mme Royal endosse le rôle tardif de l'amazone courroucée (alors que la décision ne lui appartient plus), Mr Macron sautille d'une séance peu discrète chez le barbier à une rencontre sous les flashs avec le Dalaï-Lama, loin, très loin, de la Côte de granit rose en sursis, de ses macareux et autres fous de Bassan.
Oui, en vérité ils sont bien trop sages, quand on y songe, les citoyens. Pourquoi nos décideurs se priveraient-ils dès lors de leur petit cirque médiatique, égotique, qui, sur le terrain, a un coût pourtant inestimable ? Postures et impostures décomplexées, brutalité libérale ou attentisme coupable, le tout sourires face caméras. Dans leur esprit, dirait-on, tant que la pêche aux voix va...
- Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà' (ed du Net) et de 'Pierre Guerot & I' (ed H&O)