'Oscar De Profundis’, la star de l’Apocalypse. Une dystopie glaçante de C. Mavrikakis
- 21 avr. 2020
- Par Frederic L'Helgoualch
- Blog : Deci-Delà

« Une semaine et on verrait la fin de cette saloperie. Puis, le beau temps serait de la partie. On oublierait vite. C’est ainsi que la peste s’était manifestée partout à travers la planète. »
La « peste » : la fièvre noire, un mal inconnu se répandant depuis peu dans le monde entier, n’infectant opportunément que les pauvres. Ils seraient bientôt tous déformés par la douleur, mains et visages noircis avant de succomber dans d’atroces convulsions, ces gueux habitués à survivre telles des blattes dans les centres-villes désertés, considérés comme une sous-espèce au bord de l'extinction par les productifs des banlieues sécurisées. « Les rumeurs allaient bon train. Seuls une bactérie, un virus ou un produit créés par la méchanceté humaine étaient capables d’un tel carnage… » L’alimentation en eau avait sans doute été utilisée pour cibler ces « êtres (qui) se partageaient les déchets de la ville et les viscères pourris de la société », puisque les banlieusards, eux, ne l’attrapaient jamais. L’autorité unique des anciennes nations maintenant unifiées - dont on finissait par oublier les noms d’origine et qui formaient dorénavant (fondues dans un ensemble homogénéisé de force) l’Empire - ne prenait même plus la peine de faire abattre la gueusaille dans les rues : la maladie se chargerait de finir le ménage, aucun trou à rat d’aucune cité ne pouvant échapper à la pandémie. « Le Gouvernement mondial n’hésitait pas à assassiner des hommes et des femmes coupables simplement de ne plus savoir ou de ne plus vouloir participer à la prospérité universelle des riches », si quelques-uns échappaient par miracle au mal noir, l’armée n’aurait aucune difficulté à traquer ces derniers cloportes épuisés, à faire rugir les mitraillettes. Un monde nouveau arrivait, bientôt purifié, débarrassé de ses déchets ! Productivité, consommation, soumission et ordre régneraient enfin totalement sur une planète et une humanité mises au pas ! Peu importait aux dirigeants suprêmes que la fin du monde approchât, car l’ivresse de leur puissance, la conscience de la perfection de leur projet l’emportaient sur la peur de leur propre destruction, proche; certaine. « La Terre était épuisée, l’humain aussi. » Les planètes du système solaire s’éloignaient inexorablement les unes des autres - et les scientifiques n’y comprenaient ni n’y pouvaient rien. La chaleur de son étoile serait bientôt pour la Terre un lointain souvenir : la vie était condamnée. Déjà la faune sauvage agonisait dans l’indifférence générale : seules valaient les bêtes rentables enfermées dans les usines géantes.


Des anecdotes et des fables couraient sur cette épidémie planétaire, sporadique qui n’attaquait que les plus misérables. Les croyants voyaient en la maladie noire une punition divine destinée à purger la planète de ses fléaux que constituaient la prostitution, la luxure, la drogue et la criminalité. Un monde sans pauvres ne pouvait qu’être un paradis. Et Satan lui-même était appelé à disparaître à travers cette contagion qui éradiquait le mal. Les futés voyaient plutôt un complot de l’État mondial pour se débarrasser sans trop faire de remous de tous ces indésirables qui montraient le revers nécessaire du capitalisme avide de la douleur des humains. La société ne connaîtrait aucune longévité sans la phagocytose exercée sur les corps des gueux. »

Oscar De Profundis se retrouvait, à cause de sa détestation des banlieues trop paisibles, immobilisé dans le centre au milieu du chaos, installé dans une immense demeure (certes gardée nuit et jour par des soldats et des gardes du corps sur-armés). Assailli par ses démons, tel Gatsby le magnifique enferré dans ses psychoses égocentriques, Oscar discutait avec un enfant mort tandis que Cate Bérubé, elle, entendait bien profiter de la présence de la Rock star planétaire pour montrer à cette société devenue débile - comme le climat - que le peuple des rues saurait au moins une fois se révolter. Au moins une fois hurler sa rage. Mais, le dernier des quatre cavaliers n’avait-il pas déjà bien entamé sa course vers ce monde perdu ? Aucune sorte de révolte sur cette planète au temps de l’Empire n’était-elle possible, comme le prétendait Oscar ? Les gueux, à l’approche de la mort, trouveraient-ils la force de s’indigner ou préféreraient-ils s’enivrer une ultime fois d’une violence exutoire, certes, mais sans but ni intérêt ? La prière aux morts, oui mais...lesquels ?
‘Oscar De Profundis’ ou la furie des humiliés. Fascisme et déshumanisation victorieux sur un tas de cendres. L’écriture et la pensée denses de Catherine Mavrikakis font de cet ouvrage un roman à clés traitant aussi de l’importance de l’art, gardien de notre mémoire commune. Et en creux, à la fin de cette fable enragée, du processus et des limites de la création. Quant à l’univers cauchemardesque dépeint par l’auteure : qui, aujourd’hui, pour prétendre qu’il ne franchira jamais les barrières de la fiction, qu'il ne s'échappera pas des bornes de la dystopie ? Bien souvent on peut en effet déjà lui trouver une bien inquiétante tête de moribond, à notre monde...
—— ‘Oscar De Profundis’, Catherine Mavrikakis, ed. Sabine Wespieser (broché) ——-
mais aussi, en cette période singulière, en ebook chez ed. Héliotrope
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{voir également ‘Catherine Mavrikakis, mémoire à vif et plume au clair’ (‘L’Annexe’) }
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—— Deci Delà ——
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