« El Cinco de mayo », drôle d’éphéméride pour initier un blog francophone sur le Mexique. Hier, le pays commémorait l’anniversaire de la glorieuse bataille de Puebla sur l’armée française en 1862. Etonnant ! 146 ans plus tard, ce jour férié est avant tout célébré sur le sol… américain. La principale « fête latina » aux Etats-Unis symbolise le nouveau fléau mexicain : L’émigration.
A l’aube du 5 mai 1862, les généraux français lancent une attaque éclair sur la ville de Puebla, située à 120 km de Mexico. Objectif : Avancer vers la capitale pour renverser Benito Juarez, premier président mexicain d'origine indienne. Depuis Paris, le Mexique semble une proie facile pour Napoléon III. Pourtant ce jour-là, l’armée mexicaine résiste vaillamment à l’assaut. Puebla ne tombera que deux mois plus tard, puis viendra le tour de Mexico. La monarchie est proclamée. Maximilien de Habsbourg devient empereur du Mexique. Cousin germain de l’Aiglon, fils de Napoléon Ier, cet Autrichien gouvernera seulement trois ans. Lâché par Napoléon III sous la pression des Etats-Unis, il est exécuté, le 19 juin 1867, par les partisans de Benito Juarez, héros national.
Paradoxe de l’histoire : Ce symbole de la résistance nationale contre l’envahisseur est aujourd’hui devenu celui des « paisanos », surnom donné aux émigrés aux Etats-Unis. Alors que dans leur pays d’origine, seuls les habitants de Puebla commémorent en costume cette date anniversaire, les 25 millions de Mexicains aux Etats-Unis, dont plus de cinq millions en situation irrégulière, fêtent en masse ce jour férié. Certains d’entre eux confondraient même la bataille de Puebla avec le jour d’indépendance du Mexique, le 16 septembre 1810 ! Les bals populaires et autres parades au son des Mariachis n’en attirent que plus les foules.
Près d’un siècle et demi après cette glorieuse bataille, l’ennemi du Mexique ne viendrait-il pas désormais de l’économie intérieure ? Chaque année, la pauvreté pousse 500 000 Mexicains à franchir illégalement la frontière avec le voisin du Nord. Cette dernière décroche la triste palme de premier couloir migratoire du monde, selon la Banque mondiale. Les mesures anti-immigration du gouvernement Bush, dont la construction du fameux mur, ne semblent pas freiner les flux d’illégaux.
Pour les sans-papiers, le rêve américain n’a jamais été aussi cher payé : 437 sont morts en 2007 en tentant de passer la frontière, selon le Secrétariat mexicain des relations extérieures (SRE) qui estime que 2008 sera encore plus meurtrière en raison des risques accrus. En face, les passeurs (baptisés « coyotes ») se frottent les mains. La surveillance croissante des gardes-frontières fait décoller les tarifs d’une traversée guidée: 2000 à 2500 dollars pour un Mexicain, 7000 environ pour un Guatémaltèque, 12 000 pour un Sud-américain. Les Chinois, eux, payeraient jusqu’à 60 000 dollars !
Pourtant vu du Mexique, le jeu semble en valoir la chandelle. Plus de six millions de personnes sont victimes de malnutrition. Le salaire minimum plafonne à 50 pesos (3 euros) par jour. Mais cet appel d’air migratoire ne touche pas que les pauvres. Selon un sondage de OCCMundial, 82% des diplômés désirent partir aux Etats-Unis pour multiplier leur salaire par dix. 17% se déclarent même prêts à faire le voyage illégalement.
Une fois de l’autre côté, les immigrés entretiennent leurs proches restés au pays. Le Mexique est ainsi devenu en 2006 le numéro un mondial des « remesas », transferts de fonds envoyés par les émigrés, avec plus de 20 milliards de dollars. Ces derniers représentent désormais la seconde source de revenus du pays après le pétrole.
Au-delà de la bataille historique contre les Français, « El Cinco de mayo » s’est transformé en un véritable symbole identitaire pour les « paisanos ». Le phénomène n’a pas échappé aux candidats à la présidence américaine qui se sont tous joints hier à la fête, sous les yeux des caméras. Pour l’heure, la communauté latina soutient la démocrate, Hillary Clinton, dans l’espoir d’une régularisation de ces millions d'immigrés économiques.