Chères amies, chers amis,
Je suis désolé d'être le porteur de mauvaises nouvelles, mais je crois devoir être franc : Marine Le Pen va remporter l'élection du mois de mai.
Cette profiteuse à temps partiel et manipulatrice à temps plein va devenir notre prochaine présidente. La présidente Le Pen. Allez, dites-le tous en chœur, car il faudra bien vous y habituer au cours des cinq prochaines années: "PRÉSIDENTE LE PEN !"
Jamais de toute ma vie n'ai-je autant voulu me tromper.
Je vous observe attentivement en ce moment. Vous agitez la tête en disant: "Non Frédo, ça n'arrivera pas !". Malheureusement, vous vivez dans une bulle. Ou plutôt dans une grande caisse de résonance capable de vous convaincre, vous et vos amis, que les Français n'éliront pas cette "semi-démente". Vous alternez entre la consternation et la tentation de tourner au ridicule sa plus récente déclaration concernant l’économie ou la monnaie, lorsque ce ne sont pas ses casseroles judiciaires.
Le hic, c’est qu’il est illusoire de s’appuyer sur son incompétence crasse ou sur ses casseroles : son électorat s’en fout.
Y en a un peu plus, je vous la mets quand même ?
Par la suite, vous écoutez Emmanuel Macron et envisagez la possibilité que nous ayons pour la première fois un homme jeune à la présidence. Un homme bien placé dans le miroir médiatique et gentiment narcissique du tout-Paris, qui prétend incarner la modernité, utilise des anglicismes up to date et poursuivra les politiques entreprises par Hollande. Après tout, n'est-ce pas ce que nous voulons ? La même chose pour cinq ans de plus ?
Peut-être pas, je vous le concède. MAIS à ce stade j’ouvre mon journal, j’allume ma radio, je navigue sur Internet et… "L’urgence est là, Frédo. Ça craint grave ! Entends le tocsin qui sonne.” Euh, quoi quoi quoi ? “Mais si ! Il sonne, triple buse ; je le sais, c’est moi-même qui secoue cette putain de corde !" Ah, ben ouais. Imparable.
Et le drame commence ici. Dans ce qu’il faut bien appeler un naufrage de la pensée politique, tout ce que notre pays compte de grands penseurs progressistes, de stratèges éclairés, de modérés, de tièdes, de capitulards… tous se résolvent à rallier le dernier bonimenteur à la mode sous prétexte qu’il est LE SEUL rempart au danger qu’EUX-MÊMES contribuent à faire monter, quand ils en font la boussole de notre vie politique. De rempart il ne peut y en avoir qu’un ; ne cherchez pas plus loin.
Macron, c’est une grosse couche de Fillon pour l’économie et l’antisocial, un vernis de gauche d’inspiration Mélenchon pour quelques réformes sociétales et… rien de chez rien pour l’écologie et l’environnement. Macron c’est tout et son contraire. L’extrême-centre c’est la droite qui casse le dress code. “T’inquiète, Margaret, on ne va jamais remettre en question le veau d’or du libéralisme sacré. Ça passera. La preuve, même si je hurle comme un hystérique personne n’écoute le contenu. Si si, j’ai essayé !”
Y en a un peu plus, je vous le mets quand même ?
En marche ? En courant, même, nos grand penseurs ! En rond dans la cour, comme des poulets sans tête. On peut leur chanter sur tous les tons que “Le moindre mal c’est encore le mal” (Hannah Arendt), mais ils s’en foutent. Hyptonisés par le pipeau du joueur de flûte.
Si ces postures étaient attendues de la part de toute la vieille droite plus ou moins complexée (de Bayrou à Madelin et Tiberi en passant par DSK et d’autres hommes du renouveau), c’est plus affligeant et hélas presque comique de la part d’un Braouezec (soit dit avec respect et reconnaissance pour son engagement et ses réalisations). Ou même d’un Delanoë qui, après tout, pouvait être considéré comme de la semi-gauche.
Le seul problème, c’est que… ÇA-NE-MAR-CHE-RA-PAS !
Il est temps de sortir de votre bulle pour faire face à la réalité. Vous aurez beau vous consoler avec des sondages et des statistiques (X% de l'électorat est composé de femmes, de personnes issue de la diversité, de diplômés ou d'adultes de moins de 35 ans, Le Pen ne remportera la majorité d'aucun de ces groupes), ou faire appel à la logique (les gens ne peuvent en aucun cas voter pour une incapable qui va à l'encontre de leurs propres intérêts), ça ne restera qu'un moyen de vous protéger d'un traumatisme. C'est comme lorsque vous entendez un bruit d'arme à feu et pensez qu'un pneu a éclaté ou que quelqu'un joue avec des pétards.
Nous avons besoin de nouvelles encourageantes parce que le monde actuel est un tas de merde, parce qu'il est difficile de survivre d'un virement de paye à l'autre, et parce que notre quota de mauvaises nouvelles est atteint. C'est la raison pour laquelle notre état mental passe au neutre lorsqu'une nouvelle menace fait son apparition.
C'est la raison pour laquelle les personnes renversées par le camion de Nice ont passé les dernières secondes de leur vie à tenter d'alerter son conducteur: "Attention, il y a des gens sur le trottoir !"
Eh bien, mes amis, la situation n'a rien d'un accident. Si vous croyez encore qu’Emmanuel Macron va vaincre Le Pen avec des faits et des arguments logiques, c'est que vous avez complètement manqué les dernières années, durant lesquelles nombre de gens intelligents ont utilisé cette méthode (et plusieurs autres méthodes plus ou moins honnêtes ou manipulatrices) dans nombre de consultations sans réussir à arrêter la catastrophe. Le même scénario est en voie de se répéter ce printemps. La seule manière de trouver une solution à ce problème est d'admettre qu'il existe, en premier lieu.
D’accord, nous avons tous de grands espoirs pour ce pays. Des choses ont changé pour le mieux. La gauche a remporté les grandes batailles culturelles. Les homosexuels peuvent se marier. La majorité des Français expriment un point de vue écologique et progressiste dans presque tous les sondages. Faut-il l'égalité salariale entre hommes et femmes ? Positif. Le droit à l'avortement doit être protégé ? Positif. Il faut des lois environnementales plus sévères pour faire évoluer nos comportements ? Positif. Légaliser la marijuana ? Insignifiant mais positif. Le socialiste qui a remporté l'investiture du PS est une autre preuve que notre société se transforme. Et peut-être Macron remporterait-il l'élection si c’était un jeu vidéo.
Mais ce n'est pas comme ça que notre système fonctionne. Les gens doivent être inscrits sur les listes électorales et quitter leur domicile pour voter. Avec pour résultat que le taux de participation dépasse à peine 60% de la population. Un des problèmes est là. Au mois de mai, qui pourra compter sur les électeurs les plus motivés et inspirés ? Qui pourra compter sur des sympathisants en liesse, capables de se lever à 5 heures du matin pour s'assurer que tous les Paul, Pierre et Jacques (et Marcel, Jean-Marcel et Marcel-Jean, et Ginette parce que ce jour-là ils se souviendront que même les femmes peuvent donner leur avis) ont bel et bien voté ? Vous connaissez déjà la réponse. Ne vous méprenez pas : aucune campagne médiatique en faveur de Macron, aucune phrase-choc dans un débat télévisé et aucune défection des électeurs nationalistes ne pourra arrêter le train en marche.
Voici donc cinq raisons pour lesquelles Le Pen va gagner :
1. Le poids électoral de la France rurale et semi-rurale
Une grande partie du corps électoral vit dans des territoires peu à peu livrés à l’abandon, qui ont vu partir leurs usines à l’étranger et qui sombrent dans la désespérance. C’est là que les gens vivent - le plus concrètement qui soit - les effets les plus néfastes de la mondialisation.
Ces territoires sont pour la France l'équivalent du centre de l'Angleterre. Ce paysage déprimant d'usines en décrépitude et de villes en sursis est peuplé de travailleurs et de chômeurs qui faisaient autrefois partie de la classe moyenne. Aigris et en colère, ces gens se sont fait duper par la théorie des effets de retombées de l'ère Sarkozy-Hollande. Ils ont été abandonnés par tous ces politiciens qui, malgré leurs beaux discours, fricotent avec des lobbyistes de Goldman Sachs prêts à leur signer un beau gros chèque.
Voilà donc comment le scénario du Brexit est en train de se reproduire. Le charlatan Elmer Gantry se pose en Boris Johnson, faisant tout pour convaincre les masses que l'heure de la revanche a sonné. L'outsider va faire un grand ménage ! Vous n'avez pas besoin de l'aimer ni d'être d'accord avec lui, car il n’est qu’un cocktail Molotov que vous tirerez au beau milieu de tous ces bâtards qui vous ont escroqué ! Vous devez envoyer un message clair, et Le Pen sera votre messagère !
2. Bébé Macron est un problème en lui-même
Je crois malheureusement que Macron pourrait nous entraîner dans des aventures militaires atlantistes, car il serait une marionnette dans les mains de ses chefs. Mais peut-on confier le bouton de nos bombes nucléaires à Le Pen la sociopathe xénophobe ? Poser la question, c'est y répondre.
Cela dit, notre problème comporte deux aspects nuisibles : Le Pen ET Macron. Ce type est très populaire... parmi les gens dont les gens ne veulent plus ! Un très fort pourcentage d’électeurs le considèrent comme peu fiable. Il représente la vieille manière de faire de la politique, c'est-à-dire l'art de raconter n'importe quoi pour se faire élire, sans égard à quelque principe que ce soit. Il dit tout et son contraire en fonction du public présent. C’est Gatsby le magnifique, et les lecteurs de Fitzgerald savent que Gatsby est un escroc.
En réalité, Macron c’est un double plan B. C’est le plan BB au fond de l’eau du bain. Plan B d’une droite écoeurée - à juste titre - par les turpitudes de Fillon. Plan B d’une pseudo-gauche, celle qui réalise avec stupeur et inquiétude que c’est la candidature de Jean-Luc Mélenchon qui rassemblera l’électorat progressiste, cet électorat qu’elle croyait pourtant avoir verrouillé avec le boulet Hamon.
Qui plus est, peu de citoyens ont une tolérance pour les discours qui sonnent faux ou les recettes qui ont échoué. Revenir aux années Sarkozy-Hollande n’est pas un projet qui peut rassembler.
3. Un référendum à pour ou contre
C’est LE point central, chers amis. C’est pour cette raison qu’il porte le numéro trois. Si vous choisissez Macron au premier tour, vous transformerez - de fait - le second tour en caricature de ce que nous devrions éviter...
Nous aurons le candidat “et de droite et de gauche” contre la candidate “ni de droite ni de gauche” !
Nous aurons le candidat de la dérégulation des banques et des assurances (ben oui, faut lire son programme, pas le juger à son ramage), autrement dit encore moins de contrôle sur la finance, face à la candidate qui la mettra au pas !
Le candidat favorable au CETA, à l’UE, le candidat du “oui” et du système face à la candidate de la préférence nationale, de la résistance à Bruxelles et du savoir dire “non” !
Ne doutez pas un instant du résultat : depuis 2005, PAS UNE consultation en Europe n’a donné le résultat que vous espériez, au contraire de ce que nous promettaient pourtant TOUS vos sondages !!
Non mais franchement, vous voyez à quel point il donne envie, le rempart ?
4. Les partisans fous-furieux de François Fillon
Tout d’abord, ne vous inquiétez pas des partisans de Mélenchon qui ne voteront pas pour Macron. Le fait est que nous serions nombreux à voter pour lui. Ou au pire, à ne pas voter pour Le Pen. Le problème n'est pas là. Si une alarme doit sonner, c'est à cause du "vote déprimé". En d'autres termes, le partisan moyen de Mélenchon qui fait l'effort d'aller voter ne ferait pas l'effort de convaincre deux autres personnes d'en faire de même.
En revanche, ce qui doit vous inquiéter, ce sont les électeurs de la droite la plus traditionaliste et réactionnaire, ces électeurs qui auront choisi contre toute raison de conserver leur confiance à François Fillon et qui auront pris une fessée au premier tour. Eux seront habités par un immense sentiment d’injustice et se reporteront sur le FN par pur et simple esprit de vengeance.
5. L'effet Jesse Ventura
Pour conclure, ne sous-estimez pas la capacité des gens à se conduire comme des anarchistes malicieux lorsqu'ils se retrouvent seuls dans l'isoloir. Dans notre société, l'isoloir est l'un des derniers endroits dépourvus de caméras de sécurité, de micros, d'enfants, d'épouse, de belle-mère, de patron et de policiers ! Vous pouvez y rester aussi longtemps que vous le souhaitez, et personne ne peut vous obliger à y faire quoi que ce soit.
Vous pouvez choisir un parti politique, ou écrire Mickey Mouse et Donald Duck sur votre bulletin de vote. C'est pour cette raison que des millions de Français en colère seront tentés de voter pour Le Pen. Ils ne le feront pas parce qu'ils apprécient le personnage ou adhèrent à ses idées, mais tout simplement parce qu'ils le peuvent. Des millions de gens seront tentés de devenir marionnettistes et de choisir Le Pen dans le seul but de brouiller les cartes et voir ce qui arrivera.
Vous souvenez-vous de 1998, année où un lutteur professionnel est devenu gouverneur du Minnesota ? Le Minnesota est l'un des États les plus intelligents des États-Unis d’Amérique, et ses citoyens ont un sens de l'humour assez particulier. Ils n'ont pas élu Jesse Ventura parce qu'ils étaient stupides et croyaient que cet homme était un intellectuel destiné aux plus hautes fonctions politiques. Ils l'ont fait parce qu'ils le pouvaient. Élire Ventura a été leur manière de se moquer d'un système malade. La même chose risque de se produire avec Le Pen.
Des tas de gens s’expriment, sur les réseaux sociaux, à la machine à café ou au zinc du bistrot du coin : "Nous devons voter pour Le Pen. Nous DEVONS faire bouger les choses !" C'est là l'essentiel de leur réflexion.
Faire bouger les choses. La présidente Le Pen sera l'homme de la situation, et une grande partie de l'électorat souhaite être aux premières loges pour jouir du spectacle.
Cordialement,
Phi ! Bien entendu, tout cela ne doit en aucun cas nous empêcher de réfléchir aux talons d'Achille de Marine Le Pen et aux stratégies que nous pouvons employer pour lui faire perdre l’élection. De ce côté-là, le seul moyen que je vois, c’est de convaincre nos concitoyens un par un. NOUS DEVONS emporter leur adhésion sur une tout autre rupture, sur un tout autre programme. Faites au mieux de ce à quoi vous croyez (même Macron, hein, si c'est vraiment par conviction). Pour ma part ça sera L’Avenir en commun, porté par Jean-Luc Mélenchon.
"Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !"