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Billet de blog 17 avril 2017

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Le matin du 9 mai

Un conte humoristique en réponse aux attaques de François Hollande et Julien Dray contre Jean-Luc Mélenchon et le mouvement la France Insoumise.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nadine a fait la nouba hier, et s'est couchée à 2 heures du matin. Faut dire qu'elle n'a pas beaucoup dormi depuis dimanche soir. Quand le visage de Jean-Luc Mélenchon est apparu à 20 heures sur l'écran, elle a crié sa joie avec ses amis de la France Insoumise. Et ils sont sortis dans les rues de la petite ville, au milieu des hurlements, des chansons, des klaxons, le claquement des pétards, des marseillaises et des internationales improvisées.

On avait l'impression que toute la France était dans la rue en cette nuit de mai. Enfin pas toute la France, mais presque. Les volets du notaire et du pharmacien étaient restés fermés. Ceux de monsieur Schneider, aussi, le magnat local qui possédait à peu près tout ce que la ville comprenait de commerces et d'industrie. Il faut dire que déjà, la semaine précédente, l'inquiétude avait gagné ceux qui n'ont pas besoin de travailler pour vivre, rentiers, retraités, cadres dirigeants et hauts fonctionnaires, et qui, à ce titre, jugent que ceux qui n'ont pas de droits acquis sur le reste de la société doivent trimer toujours plus pour leur assurer une vie délicieuse. Ceux qui vivent de ce que le grand Tolstoï appelait par son vrai nom, « l'esclavage moderne ».

Nadine avait dansé toute la nuit. Le lundi, c'était le 8 mai, ce jour férié qui tombait à pic, le jour anniversaire de la capitulation de l'Allemagne nazie, jour de la libération de la France, et aussi jour de victoire de l'armée rouge, à laquelle ses parents avaient voué un vrai culte. Son père, ancien syndicaliste, lui disait toujours : tu sais je ne suis pas communiste, mais quand-même, ils nous ont bien aidés. En ce 8 mai béni, elle avait dormi jusqu'à midi et loupé le discours du futur Président. Elle était alors retourné faire la fête chez ses amis. Depuis 3 ans que son compagnon l'avait quitté, la laissant seule avec son petit Quentin, elle n'avait pas connu pareille joie. Réparatrice.

Sept heures et demie ! Merde, j'ai oublié de mettre le réveil ; et puis je m'en fous, après tout, on a gagné. La vie va être belle. Nadine avale en cinq sec son café, se douche en vitesse, jette Quentin à la crèche et arrive à l'entrepôt, toute essoufflée.

 Mais Lambert l'attend à l'entrée du service :

-  Alors, Nadine, t'as encore 5 minutes de retard, ce matin, et puis qu'est-ce que c'est que cette tenue débraillée. Va enfiler ta blouse. Et si tu veux recevoir un avertissement...
-  Eh, oh, commence par me parler sur un autre ton, je ne suis pas ta boniche.
-  Tu me tutoies, maintenant, mais c'est ...
-  Et toi, tu le fais bien !
-  Oui, mais je suis le chef
-  Chef de mes couilles, t'es pas au courant, c'est nous qu'on a gagné. Et ça va changer, maintenant, si tu as une remarque à me faire, tu le dis autrement. Et puis moi, j'en ai aussi, des remarques à te faire.
-  Mais c'est incroyable ! Je vais monter chez le directeur, tu vas voir.

 Et monsieur Lambert, sa tête congestionnée de colère, monte quatre à quatre l'escalier jusqu'au 2ème étage. Il salue à peine la secrétaire :

-  Je viens voir M. Schneider, c'est ultra-urgent.
-  Attendez un instant

 La secrétaire frappe à la porte.

 -  Monsieur Schneider, il y a ici monsieur Lambert, qui a l'air bouleversé.
-  Je devine pourquoi, faites-le entrer.
-  Alors, Lambert, qu'est-ce qui vous arrive ?
-  Eh bien, Monsieur Schneider, il y a Nadine qui est arrivée en retard, et qui...
-  Et qui vous a répondu avec insolence, je sais.
-  Mais comment vous le savez ?
-  Je sais tout, mon petit Lambert, c'est pour çà que je suis le directeur
-  Mais enfin...
-  Mais enfin, il va falloir vous y faire, Lambert.
-  Me faire à quoi ? Me faire à çà !
-  Eh oui, les temps ont changé, Lambert. Mon grand-père m'a raconté le Front populaire, les piquets de grève dans les usines, l'arrivée des conge-paye sur nos plages.
- Et c'est...
- Oui, c'est la même chose, et puis la libération, les FFI qui étaient contrôlés par les communistes. Et mon père m'a raconté 68, dans son entreprise. Les années qui ont suivi, surtout. Et j'oublie 81, la surprise Mitterrand. Enfin, çà n'a pas duré.
-  Alors, monsieur le directeur, tout est foutu ?
-  Mais non, mon petit Lambert, rassurez-vous. Il va falloir laisser passer l'orage, lâcher du lest, mais ne vous inquiétez pas, nous sommes très puissants.
-  Puissants, mais ils viennent de gagner les élections.
-  Rassurez-vous, Lambert, nous possédons tout : les banques, les entreprises, les journaux, enfin ce qu'il en reste, les radios, les télévisions. Certes, nous n'avons pas réussi à maîtriser Internet, et ça vient de nous coûter cher avec ce mouvement de la France Insoumise. Mais le Sénat, lui, nous restera fidèle, et l'université, autrefois infectée de marxisme, a été retournée depuis 30 ans. Enfin, tout ce qui compte en France est avec nous, Attali, Minc , Joffrin, Lenglet, Duhamel, Aphatie,... faut-il que je vous fasse la liste complète ?
-  Non, mais depuis que Montebourg a rejoint Mélenchon, on parle d'une coalition avec le PS.
- Oui, mais nous avons des amis, là-bas. Comment croyez-vous que nous avons redressé la situation, après 1981, hein ? Eh bien nous avons été patients, résolus mais patients. Nous avons avancé nos pions, sournoisement. En plaçant Attali à l’Élysée et Delors aux finances, avant d'écarter Mauroy et de séduire ce pauvre Bérégovoy, nous avons entamé la reconquête. Nous avons laissé l'apparence du pouvoir au PS, et puis nous l'avons investi, peu à peu. Nous avons fait de même avec les syndicats, rendez-vous compte, nous avons réussi à transformer les syndicalistes de la CFDT autogestionnaires de LIP en membres du club Le Siècle. On leur en a même donné la présidence, avec Nicole Nottat. Notre triomphe.
-  C'est quoi, le club Le Siècle ?
-  C'est une institution informelle, française, créé en 1944, pour résister au communisme rampant qui menaçait, et qui regroupe tous les décideurs politiques, économiques, médiatiques du moment, au delà du clivage droite-gauche. Cela ne vous rappelle rien, Lambert, ce ni droite ni gauche ?
-  Ah si monsieur le directeur, n'est-ce pas le slogan de Macron ?
-  Bien, vous commencez à comprendre. Nous avons misé beaucoup sur lui, après le naufrage de Juppé. Malheureusement, il ne s'est pas montré assez solide. Nous avons misé sur un vieux cheval, puis sur un trop jeune poulain, ils ont été battus. A cause de ce con de Fillon !
-  Mais, monsieur le directeur, Fillon n'est pas un con, il est pour la prospérité des entreprises et..
-  D'abord, cessez de m'appeler monsieur le directeur ! Il vous faut progresser, Lambert
-  En quoi, mons... enfin monsieur Schneider ?
-  Appelez-moi Philippe, tout simplement, quel est votre prénom Lambert ?
-  Euh, Bernard, mons... phili..
-  Philippe, Bernard. Entraînez-vous. Après 68, on a concédé çà dans les entreprises : appeler le patron par son prénom. C'est sympathique, n'est-ce pas ? Ça crée une complicité, une ambiance bande de copains, comme dans les boîtes américaines : on vous tape sur l'épaule, même pour vous annoncer qu'on vous fout à la porte. Et puis on est revenu en arrière. Le penchant naturel.
-  Au fait, Bernard, le prénom, oui, le tutoiement, non. On s'appelle par le prénom, mais on conserve le voussoiement.
-  Le quoi ?
-  On dit vous. Bon, où en étais-je ? Vous m'avez fait perdre le fil.
-  A Fillon, vous disiez qu'il était …
-  Un con. Le vrai con. Au lieu de raconter des balivernes, comme les vrais politiques savent le faire, voilà qu'il se met à clamer la vérité : qu'il va prendre aux pauvres pour donner aux riches, supprimer le SMIC, la durée légale du travail, que sais-je encore, un vrai con ! On vise çà évidemment, mais on l'emballe, on minaude sur la flexibilité, on parle de la nécessaire concurrence libre et non faussée comme d'une loi scientifique, on récite les cours de la bourse tous les matins, en faisant croire aux prolétaires que quand la bourse monte, ils sont plus riches, alors que c'est l'inverse.
-  Mais euh...Philippe, quand la bourse monte, c'est que tout va bien...
-  Oui, tout va bien pour nous, pour ceux qui possèdent, c'est le signe que les riches deviennent plus riches.
-  Mais, quand la bourse ne monte pas, c'est la catastrophe !
-  Catastrophe pour nous, oui, mais pas pour les pauvres. Savez-vous, Philippe, que les cours de bourse ont stagné lamentablement pendant les trente glorieuses ? Que le partage de la valeur ajoutée a évolué pendant une trentaine d'années en faveur des travailleurs, au détriment du capital. Et ça aurait continué comme ça si nous n'avions pas réussi, au niveau mondial, avec Tatcher et Reagan, au niveau national, avec le tournant de la rigueur en 1983, a remettre les choses en ordre.
-  Mais le tournant de la rigueur, il était indispensable. L'inflation, c'est une catastrophe, elle ruine les pauvres, et, d'ailleurs, c'est l'inflation galopante qui a amené Hitler au pouvoir, c'est bien la preuve que...
-  C'est bien, mon petit Bernard, vous avez retenu la leçon. Mais, voyez-vous, c'est complètement faux. L'inflation ruine les riches et sauve les pauvres du naufrage en effaçant leurs dettes.
-  Mais les petits épargnants ?
-  Les petits épargnants, les grand-mères qui ont dix mille euros sur leur compte d'épargne, c'est ce qu'on a trouvé de mieux pour enfumer le peuple : en réalité, il y a deux types d'agents économiques : les créanciers et les débiteurs. Les riches sont tous créanciers, et les pauvres sont tous débiteurs. Réfléchissez un instant : quand vous êtes pauvres, que vous souscrivez un crédit parce que vous n'avez pas un rond, l'inflation efface vos dettes. A l'inverse, quand vous êtes riches, et que vous placez vote argent, l'inflation ronge vos créances. C'est simple à comprendre, et pourtant, depuis 30 ans, nous avons réussi à faire croire à tout le monde le contraire.
-  Et Hitler, tout de même ?
-  Et bien pour comprendre la montée du nazisme en Allemagne, il faut connaître l'histoire. L'histoire économique de l'Allemagne. En 1923, l'Allemagne, criblée de dettes comme la Grèce d'aujourd'hui, connaît une hyperinflation. Entre janvier 1920 et novembre 1923, les prix sont multipliés par 100 milliards ! Heureusement, les dirigeants allemands refondent la monnaie sur une base tangible, et créent un nouveau mark, solide. Personne n'est mort de faim en Allemagne en 1923. D'ailleurs, personne ne s'abreuve de liquidités monétaires et ne se nourrit de billets de banque.
-  Mais Hitler, alors, qu'est-ce qui l'a amené au pouvoir ?
-  Ce qui a amené Hitler au pouvoir, c'est la politique du mark fort, une politique de rigueur qui va amplifier la crise de 29 et mettre un tiers des travailleurs allemands au chômage. Là, on va avoir misère, famine, et le peuple allemand, martyrisé par une politique de rigueur, va porter au pouvoir les nazis. Toutes proportions gardées, c'est la même chose avec la poussée du Front National aujourd'hui.
-  Mais alors, les économistes en vue nous racontent n'importe quoi. D'où tenez-vous ces informations ?
-  Tout ce que je viens de vous dire est disponible sur Wikipédia. Notre force, c'est l'ignorance du peuple. Les économistes ne vous racontent pas n'importe quoi : ils vous tiennent le discours que l'on attend d'eux, et sinon, ils disparaissent des écrans.
-  Mais je n'y comprend plus rien, je ne sais plus quoi penser.
-  Je ne vous paie pas pour penser, Bernard, vous allez maintenant redescendre à l'entrepôt. Excusez-vous auprès de cette Nadine, dites-lui que votre femme vous a quitté hier, ou autre chose du même genre, tâcher de vous en tirer et surtout ne me foutez pas la merde. Celle-là, on la baisera, plus tard. Et gardez tout ce que je vous ai dit pour vous. N'oubliez pas que si on vous paie si bien, c'est pour que vous soyez efficace. Parlez-lui augmentation de salaire, elle oubliera.
-  Qu'allons-nous devenir ?
-  Ne vous inquiétez pas, je vous l'ai déjà dit, nous allons laisser passer l'orage, et reprendre la main, nous avons beaucoup d'amis à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur. A l'extérieur, oui : l'OTAN, la Trilatérale, la Commission Européenne, le FMI, la Banque Mondiale, Goldman Sachs, et beaucoup d'autres. Mais il suffit pour aujourd'hui. Je vous ai fixé la ligne, et je compte sur vous pour me tenir tout çà.
-  Bien, mons...heu, oui, Philippe, j'ai compris.

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