Le pianiste Alexandre Tharaud se lance à l’assaut de Wiener et Doucet, l’un des sommets de la musique du XXe siècle.
Drôle de montagne que ce duo des années vingt, qui fit les belles nuits de Paris. Jean Wiener et son doux regard, éclairé de quelque mélancolie, cherchant toujours une avant-garde à promouvoir; Clément Doucet, le bonhomme au swing infaillible- comme si les bières belges et les dentelles de ces dames continuaient à le bercer. La grande affaire alors, c’est le jazz, une façon de surmonter le massacre à peine achevé. Tout y passe, à commencer par Chopin, Liszt et Wagner. One step ou Charleston, à votre choix. Wiener et Doucet suscitent bien des vocations, Ravel s’en donne à cœur joie, Milhaud se console de Claudel en écrivant, précisément, la partition qui donne au cabaret de la rue Boissy d’Anglas son nom définitif : le Bœuf sur le toit.
L’intelligence d’Alexandre Tharaud consiste mélanger le populaire et le savant, le parodique et le sérieux. Les talents qui l’accompagnent, au contraire de ce que l’on pourrait craindre- le côté "and friends" offre parfois des mariages alambiqués mais sans saveur-donnent l’éclat de l’humour ou du désenchantement sans lequel nul hommage à Wiener et Doucet ne saurait prendre sens.
A bien y songer, ce disque n’a rien de nostalgique. Il agit comme le miroir de nos rêves, interroge notre époque. Il propose de penser les années folles en oubliant ce qui suivit, non par insouciance ou bêtise, mais par lucidité. «Voilà ce que fut l’un des moments de la musique, semble-t-il nous dire. Et nous? Qui sommes nous ?» Terrible question qui se trame entre les mesures, dont le balancement ne cesse, bien après la fin, de nous inviter à la vigilance. Bouleversant.
A écouter:
Alexandre Tharaud : Le bœuf sur le toit , swinging Paris, Virgin Classics.