Ainsi Michel Delpech nous a-t-il quittés, suivant l'une des périphrases utilisées pour dire d'une personne qu'elle est morte.
Mais n'avait-il pas pris congé de nous depuis longtemps? Il est permis de considérer qu'il avait dit l'essentiel en douze années: de 1965, date de la parution de Chez Laurette, à 1977, quand sortit le 45 tours du Loir-et-Cher. Un récit , construit par le chanteur lui-même s'impose depuis longtemps: l'influence de Charles Aznavour au début des années soixante, la volonté vorace de connaître la gloire, la dépression qui le plonge dans le silence, enfin le message chrétien qui vise à relativiser tout ce qu'en ce monde on peut rêver de posséder. Deux ou trois éléments complémentaires ici pourraient être notés.
Tout d'abord que Michel Delpech était le nom d'un groupe. Il était constitué des compositeurs Roland Vincent- partenaire historique-Alain Wisniak- à qui l'on doit notamment La fille avec des baskets- Claude Morgan- en particulier pour Tu me fais planer- mais encore Michel Pelay, qui a écrit Le chasseur, Le Loir-et-cher déjà cité, Longue Maladie, bien d'autres encore. Il faut citer Jean-Michel Rivat, qui co-signa la plupart des paroles des chansons, Michel Bernholc, arrangeur alliant aux cordes soyeuses des rythmes dynamiques et vifs. Nous souhaitons rendre hommage à l'armée des musiciens de studios. S'il est impossible de les citer tous, nous aimerions distinguer, dans le désordre mais avec ferveur, Claude Engel guitariste formidable qui a conçu de surcroît l'orchestration d'un album et d'un quarante cinq tours de Delpech, Pierre-Alain Dahan, disparu voici quelques mois, notre cher Marc Chantereau forcément, Claude Civelli pour un solo de saxophone, et des étoiles anglo-saxonnes, parmi lesquelles Chris Speeding. Et la liste s'achèvera par le nom des ingénieurs du son: les grands disques de l'artiste n'auraient jamais eu la même couleur sans le talent de Dominique Blanc-Francard- notre préféré-, Jean-Pierre Janiaud, René Ameline.
Puissent les compositeurs ou les musiciens que nous n'avons pas cités ne pas tenir rigueur: un bottin ne permettrait pas de tous les appeler. À l'aune de ce genre de considération, le disque paru au mois de septembre 1975 représente un chef d'oeuvre: on y trouve la quintessence d'une ambition collective au service d'un artiste populaire: depuis La mort de l'âne jusqu'au fameux Quand j'étais chanteur, il s'agit d'un album emblématique. Mais emblématique de quoi? D'une mélancolie perçant sous l'euphorie, d'une désillusion déchirant le rideau de strass. Porteur d'une faille, comme tout à chacun, Michel Delpech a su nous l'offrir dans un costume d'enthousiasme, avec une voix de soleil. En cela d'ailleurs il était le disciple involontaire de Maurice Chevalier, qui tenta de se suicider alors qu'il obtenait au Casino de Paris un triomphe en chantant Dans la vie faut pas s'en faire.
Michel Delpech a été l'un des symboles de la "parenthèse enchantée", une expression inventée par François Giroud pour désigner les années 1968-1973, marquées par la liberté des moeurs et la prospérité socio-économique. Mais il n'a jamais reconquis la notoriété qu'il avait connue avant de plonger dans la dépression- bien qu'il ait présenté de très belles chansons, de façon régulière.
Qu'importe, il restait aimé par des jeunes gens devenus grands-parents.
Si la chanson n'était qu'un art mineur, comment expliquer l'engouement que Michel Delpech continuait de susciter? Certes il donnait l'impression d'être éminemment sympathique-et d'avoir côtoyé quelques jours Michel Pelay nous le laisse penser. Mais cela ne saurait suffire. La chanson respire le dancing et la plage, elle donne cette respiration qui dure une éternité, touche le coeur des êtres: une petite mort. Elle est un poème de l'extase. Michel Delpech a su mieux que d'autres incarner le frère en espérances renouvelées, l'adolescence du monde. Il est juste de lui dire notre gratitude et de parier que son souvenir perdure encore longtemps.