Karajan a bâti sa légende, à coup de serpe et d'ambition, de baguette et de passion. La représentation de lui-même a joué les premiers rôles dans son aventure: à bord d'un avion, sur un vaisseau croisant au large de Saint Trop', il voulait mettre en scène sa gloire- un narcissisme dont les ressorts intimes aujourd'hui sont mieux connues qu'au milieu des années soixante.
Soucieux de se concentrer sur l'essentiel, Sylvain Fort, avec talent, construit l'autobiographie imaginaire du chef d'orchestre. Il insiste à juste titre sur le sens de sa vie: l'énergie, la volonté de servir la musique. Un son tout de rondeur, de puissance, de clarté, Karajan a creusé son microsillon, suivant les innovations techniques avec la conviction qu'elles lui permettraient de gagner la postérité. "Le monument discographique que j'avais commencer à édifier connut du reste un élan nouveau lorsque la stéréophonie fut introduite sur le marché, relate Karajan-Sylvain Fort. Il était temps, sept ans après la première, de publier ma deuxième intégrale des symphonies de Beethoven". Avec un tel chef, la musique était vraiment l'art des sons.
Rien n'est masqué de l'engagement pour les nazis. La rivalité qui oppose Furtwängler à Karajan est replacée dans le contexte des luttes d'influence entre Goebbels et Göring. On a l'envie de vomir en songeant que ces deux artistes immenses- pour ne pas citer Böhm, Jochum, Schwarzkopf- ont suivi le régime hitlérien sans état d'âme. L'auteur du livre trouve le juste équilibre entre le souci de vérité, l'exercice d'admiration pour un musicien fantastique et la méditation sur le destin d'un homme. De la belle ouvrage.
A lire:
"Herbert von Karajan" par Sylvain Fort, éditions Actes sud/Classica 156 p. 17 €