Le mélomane qui aime autant Répons que Les Demoiselles de Rochefort ne peut être que scandalisé...
...par le fait que Michel Legrand ait traité publiquement Pierre Boulez de fasciste. Cette insulte, dérisoire tant elle est excessive, ne devrait mériter qu'un silence de mépris. Mais parce qu'il s'agit de la mise en cause d'une personne et non de son oeuvre, il est permis d'en dire deux mots.
Pierre Boulez n'a jamais traité les musiciens sur le ton cassant de celui qui veut humilier. Sait-on qu'en tournée avec l'Ensemble Intercontemporain, il voyageait presque toujours en compagnie des musiciens? Qu'il saluait personnellement chacun des instrumentistes d'un orchestre symphonique à l'issu d'un concert dont il était heureux? Tous ceux qui ont travaillé sous sa direction parlent d'un homme exigeant mais juste et chaleureux.
Voici quinze ans, le billettiste se promenait dans les allées de la Cité de la Musique, accompagné de ses trois enfants-dont l'aînée n'avait pas douze ans- quand il croisa Boulez. Il eut aussitôt l'idée de les présenter à lui, par un geste qui aurait pu passer pour saugrenu. D'une simplicité désarmante, l'illustre chef d'orchestre les a salués gentiment. Plusieurs fois, même dans un cadre de mondanité, Pierre Boulez a montré sa disponibilité, son amabilité. Rien de prétentieux, rien de distant chez cet homme dont l'envergure est considérable. Il faut avoir entendu deux marchandes de produits italiens du quinzième arrondissement de Paris dire leur stupéfaction quand elles ont appris que leur "adorable et si mignon" client était une célébrité mondiale- qui jamais ne leur avait révélé quel était son métier.
Vous direz que trois ou quatre anecdotes ne forgent pas une analyse rigoureuse et vous aurez raison. Vous aurez même le droit de dire que les dictateurs adorent passer pour de braves types et saluer les enfants. Mais enfin...
Autoritaire? Pierre Boulez a de l'autorité, certes oui. C'est un lutteur aussi, qui mène depuis des décennies les combats qu'il croit fondamentaux. Mais toujours dans un contexte démocratique. Il est permis de ne pas partager tous ses goûts- ainsi le billettiste aime-t-il Rachmaninov, que Boulez déteste- mais le traiter de fasciste est une ineptie qu'hélas beaucoup de gens pourraient prendre pour argent comptant. Le fasciste est le contraire d'un homme d'autorité: animé par un désir de toute puissance infantile, il croit que tout lui est dû, qu'il peut combler ses failles par un discours truffé de superlatifs, user d'un langage de sirop, d'une emphase pathétique afin de tromper son monde et détruire les autres. Pierre Boulez au contraire a porté ses choix sans interdire à quiconque d'exister.
En ces temps de confusion, il nous a semblé nécessaire de le rappeler. Belle journée à tous !