Musicien de variété, trois mots de rien pour dire un tout : la passion, le don de soi, le talent, la concurrence aussi. Marc Chantereau sans aucun doute est le monarque du royaume. Il en est reconnu depuis des lustres, il est chaque année le plus demandé, travaille encore deux heures par jour afin d’affronter les périls.
Pour imaginer ce que représentait le métier voici quarante ans, voici quelques idées: trois séances d’enregistrement, de neuf heures à midi, de quatorze à dix sept, enfin de dix sept à vingt heures ; ensuite, hors des caves capitonnées, direction les music-halls, où se poursuivait jusqu’à la nuit le programme. A tout instant la même chanson, la même épreuve : une partition vous était imposée, que vous deviez lire immédiatement devant les camarades, eux-mêmes soumis au régime. A ceci près que les violons s’installaient en bande, les cuivres en groupe, alors que les guitaristes, pianistes, contrebassistes et percussionnistes, comme l’indique la terminaison de leur nom, s’avançaient comme des solistes. Il ne leur fallait pas seulement savoir lire, mais jouer proprement, ne jamais se tromper. Le prix de la séance était considérable et ne parlons pas du coût des musiciens. De surcroît les jeunes loups guettaient la chute afin de vous remplacer. Pas de quartier, parfois. Certains sont morts à la tâche, d’avoir été sans relâche inscrits sur le tableau des studios, d’autres ont lâché prise, et leur camarades glissaient, tristes: « Il descend », signifiant ainsi que jamais il ne pourrait gravir à nouveau l’escalier de l’excellence.
Au fil des années les synthétiseurs et les ordinateurs ont supplanté les trompettistes et les plumiers. Mais le défi demeure. Par ailleurs, donner de l’âme à trois accords majeurs exige une autre inspiration, la qualité que n'autorise aucune invention technologique. Alors, les meilleurs ont franchi le mur du son, gardé la maison des temps glorieux.
C’est à l’aune d’une telle histoire qu’il convient d’écouter ce Vol du bourdon qu’interprète Marc Chantereau. La voltige est bien là, c’est entendu ; presque un numéro de cirque. Et pourtant, ce qui nous émeut, c’est la fierté professionnelle. Celle du soliste enfin sorti du rang, celle de ses camarades qui le soutiennent, le temps d’une folie.
Voici quelques jours, une chance, on a croisé Marc Chantereau. Il offre une vraie gentillesse, un charme titi qui désarme les dames, enfin le sérieux dans le regard dès qu’il s’agit de son métier. Le roi de la fête a toujours bon pied, bon œil, et joue toujours des percussions de toutes sortes : xylophone et timbales, triangle et sac en plastique.
A lui, comme à tous les musiciens que nous aimons, longue vie.