La musique offre parfois l’impression d’une succession d'épreuves qu’il n'est possible de surmonter qu'au moyen d'un labeur surhumain. C’est aussi par ce biais que nous fascine le virtuose : il est celui qui dépasse l’entendement, s'affranchit de la pesanteur.
Léopold Godowsky, pianiste et compositeur polonais, comptait parmi les grandes figures de son art, au début du XXe siècle. Un destin de gloire et de souffrance mériterait que l’on s’attarde un brin- qu’il nous soit permis simplement de dire que l’ami de Mahler et Paderewski, le maître de Nehaus et de Rubinstein, contraint à l’exil aux Etats Unis, fut ruiné par la Grande Dépression, perdit son fils et son épouse, avant de mourir dans de terribles douleurs.
Godowsky conçut, notamment, la transcription, pour la main gauche seule, de 22 études de Chopin. Chacun devine la folie technique imposée par une telle contrainte. Le pianiste américain (d'origine serbe) Ivan Ilić en propose l’enregistrement. «En déchiffrant l’une des études avec soin et sang-froid, je me suis très vite retrouvé face à moi-même, explique le pianiste. Bien que ma technique m’ait donné jusqu’alors accès à des œuvres très exigeantes du grand répertoire, je mesurais avec stupeur mes lacunes techniques. Franchement, cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas senti sur la chaise du débutant».
Le résultat de ce travail de titan ? Bien plus que de la voltige: une idée de la fulgurance. A goûter, sans modération.
Léopold Godowsky : « 22 études de Chopin », Ivan Ilić, label Paraty.