Où se niche la sensibilité d'une artiste? Ophélie Gaillard offre un sourire que l'on pourrait qualifier de ludique s'il n'était emprunt de charme et de lumière, et tout autant peut se révéler rude - un brin distante. Il n'en faut pas plus pour estimer qu'elle se trouve comme chez elle dans la musique italienne. Rien n'est plus faux, comme on le sait, que l'aphorisme de Cocteau: les transalpins ne sont pas des Français de bonne humeur, mais des passionnés de discipline, de règles et de formes, on dirait presque des autrichiens dévergondés par les soldats de Bonaparte.
"Jouer du violoncelle prédispose à être amoureuse de l’Italie, puisque la facture de cet instrument provient de ce pays, remarque Ophélie Gaillard. Avec bonheur, je joue d'un instrument fabriqué à Venise, au cours des heures de gloire de la lutherie vénitienne." Transmission, métamorphose, alchimie, tout est affaire de nuances quand il s'agit de musique.
"Vivaldi ne jouait pas de violoncelle mais il est le premier compositeur à écrire un vaste corpus de concertos pour cet instrument, note encore Ophélie Gaillard. Il en avait une profonde compréhension. Peut-être cela correspond-il à son tempérament, plus complexe qu'il n'y paraît, qui associe le sens typiquement vénitien de la fête et une foi intense, que les mouvements lents traduisent à merveille. C'est la raison pour laquelle j'ai intitulé cet enregistrement Les couleurs de l'ombre."
En couverture de cet album, l'artiste s'étend, souple et soyeuse, à la semblance d'un archet. Mais c'est l'énergie, le contrôle aussi, que traduit sa conversation. La volonté perce sous le sourire. "Pour concevoir un disque de ce genre, il faut travailler plusieurs années", souligne Ophélie Gaillard.
On s'inquiète évidemment que le disque paraisse alors que nos concitoyens sont confinés. Mais l'artiste voit dans cette concordance une source de méditation: "cette privation de sortie, quoique pesante pour beaucoup, me semble instructive parce qu'elle nous encourage à trouver des ressources en nous-mêmes, un approfondissement de soi par lequel il faut passer. Ce n'est pas une décroissance, mais un temps de réflexion."
La musique de Vivaldi, par ses multiples facettes, nous semble particulièrement faite pour accompagner ce mouvement. Et mademoiselle Gaillard s'y entend joliment pour vous l'interpréter.
A écouter:
"Antonio Vivaldi, I Colori dell'ombra" par Ophélie Gaillard et l'ensemble Pulcinella. 2 CD, label Aparté.