Oui, bien entendu, depuis quelques mois, son nom parcourt les travées et les articles. Mais s'il convient de ne jamais prendre sa propre ignorance pour une généralité, convenons que, jusqu'à l'automne dernier, son nom restait confidentiel. Peut-être certains le vénéraient-ils déjà parce qu'ils avaient disposé, dans leur jeunesse, d'un appareil Ducretet Thomson? A cette évocation, reviennent les affichettes collées dans le Nord-Sud, la jeune vendeuse de la rue Centrale qui s'affairait les jours de fête ou bien encore la camionnette du sabotier du Val de Loire. Pourquoi Ducretet-Thomson? Parce que le coffret dont il est question ce matin parut voici près de soixante ans pour promovoir le matériel de cette marque. Autant dire qu'Albert Ferber avait choisi les chemins de traverse- à moins qu'il fût un précurseur, mais passons...
Croyez-vous avoir fait le tour des interprétations que l'on peut donner de Claude Debussy? Déclarez-vous qu'il n'existe, en gros, que Gieseking, Samson François, Michelangeli, Aldo Ciccolini? Les jours où vous êtes de bonne humeur, concédez-vous quelque talent à telle ou telle fille aux cheveux de lin? Allons, allons, allons, foin de sexisme et reprenez vos esprits. La sclérose menace à chaque instant le mélomane qui s'attache à ses souvenirs comme Gene Wilder à son morceau de couverture bleue dans Les producteurs de Mel Brooks. En un mot comme en cent, vous ne pouvez pas passer à côté de l'interprétation que Ferber offre ici.
Les Préludes? Un tempo souvent différent du commun, de la charpente, un sens original mais toujours juste de la partition. L'Isle joyeuse? Un déchaînement de puissance et de couleurs. Les Arabesques? Jamais vous ne les avez entendues jouées de la sorte. Une merveille, à tous les points de vue. Servi par la prise son d'André Charlin, grand maître qui réalisa l'enregistrement du Boeuf sur le toit et la Création du Monde sous la direction de Darius Milhaud lui-même, Albert Ferber atteint des sommets.
Commencer l'année Debussy par une telle intégrale, c'est retrouver le boulevard au détour de la science, enlever les voilettes au creux de la prairie, deviner le printemps qui murmure à chacun de nos pas.
Albert Ferber joue Debussy 4CD EMI Classics