Nous apprenons la mort du grand compositeur Claude-Achille Debussy. Souffrant d'une maladie cruelle et fort heureusement peu répandue, le cancer, il n'était plus capable d'écrire de musique depuis plusieurs mois.
Fameux pour avoir écrit La mer, un poème symphonique inspiré par les innovations picturales de Monet, Renoir et tant d'autres, il a surtout bâti, contre Wagner et ses disciples, un modèle d'opéra qui restera l'expression du génie national.
Chroniqueur pour la Revue Blanche puis Gil Blas, il signait ses critiques, la chose est aujourd'hui bien connue, Monsieur Croche. Qu'on juge au passage de son esprit féroce: "On a réussi à domestiquer la musique... Enfin ! Cela fait l'affaire des familles qui, ne sachant que faire d'un enfant- la carrière de brillant ingénieur commence à fâcheusement s'encombrer-, lui font apprendre la musique: ça fait toujours un médiocre de plus". Mais gare aux commérages qu'on lui prête. Il n'a jamais déclaré que Berlioz était un créateur pour ceux qui n'aiment la musique. Tout au contraire, au lendemain d'un concert donné par l'Orchestre Colonne, il écrivit: " La symphonie fantastique est toujours ce fiévreux chef d'œuvre d'ardeur romantique, où l'on s'étonne que la musique puisse traduire des situations aussi excessives sans s'essouffler".
Les jeunes mélomanes savent que Debussy se passionnait pour les ballets russes. Il a donné le conseil d'ajouter quelques parties de trompettes à Stravinski dans cet ouvrage qui fit tant de bruit, Le sacre du printemps, et conçut Jeux pour la troupe que dirige monsieur Diaghilev.
On estime en général que cette partition tente de traduire en notes les effets de l'art cubiste. Hasard? Ou vraie volonté? Cet ouvrage lui demanda beaucoup de travail et d'énergie. Monsieur Jacques Durand, l'éditeur bien connu, nous fait part d'un extrait d'une lettre qu'il a reçue pendant le mois d'août 1912: "Ils sont très pressés d'avoir la musique de Jeux sur laquelle Nijinsky voudrait travailler pendant son séjour à Venise! lui écrit Debussy. Le calme et l'odeur des lagunes incitant ce dernier- paraît-il- à d'heureuses rêveries chorégraphiques. Je me suis refusé à leur jouer ce qu'il y avait de fait, n'aimant pas que les Barbares mettent leur nez dans mes expériences de chimie personnelle ! Je puis jurer que je ne perds pas une minute et, par la température instable et énervante que représente l'Été cette année, ça n'est pas toujours commode".
Quelle sera la postérité de ce compositeur étonnant? L'avenir seul pourra le dire. Nos pensées les plus émues vont à sa famille, en particulier mademoiselle Claude-Emma Debussy, que son père surnommait Chouchou et à laquelle il avait dédié la si belle partition Children's Corner.
La France a perdu l'un de ses plus grands créateurs.