Le compositeur et virtuose nous revient, dans son habit de lumière.
Le noir – ou le vert- du Rhin, le bleu Danube et l’acajou des mouettes à l’horizon du Léman, c’est un monde affolé qui se glisse entre les ombrelles et les guêtres. A cent lieues d’une Autriche de folklore, Fritz Kreisler invente l’Europe de l’amour, habaneras de stuc et Louis XIII de menuets, quand les armes se déchaînent. Il traverse les frontières à son corps défendant- la France, puis les Etats Unis quand celle qui se croit la première puissance du monde, en six semaines, est déchiquetée-, livre son cœur avec une tendresse infinie.
Deux disques lui rendent hommage. On aimerait qu'ils tournent pour l’éternité, tant les bijoux se succèdent : Tambourin chinois, La Gitana, The Old Refrain. Les interprètes excellent à traduire ces partitions tourmentées sous le masque du sourire : Ruggiero Ricci, Schlomo Mintz alors tout jeune, Guidon Kremer, Anne-Sophie Mutter et les rois mages enfin, Heifetz, Oistrakh et Ferras. A leur côté, rouleaux froissés mais vivaces comme des vins frais, les enregistrements du maître lui-même.
En écoutant berceuses et one-steps au suave swing, on songe à Tsipélè qui mord sa petite lèvre : « Tsipélè, pourquoi pleures-tu ? dit la comptine, est-ce une pomme que tu veux ? Non ; non, non, qui ose dire que je pleure ? » O Kreisler, encore une chanson…
Fritz Kreisler : « Liebesfreud, Liebesleid », 2CD, Deutsche Grammophon